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de la chaire et de la presse beaucoup plus que de la tribune. Quoique justement confiant dans sa puissance oratoire, Saint-John ne négligea donc pas d’autres secours. Il arma sa politique de pamphlets et de journaux, et nul ministère peut-être n’avait encore été plus discuté et mieux défendu. Rien qu’en analysant les innombrables publications qui parurent de la fin de 1710 à l’avènement de George Ier, on retrouverait toute la série des événemens, toute la suite des affaires, et ce morceau d’histoire littéraire serait un fragment tout fait de l’histoire du gouvernement ; ce serait le drame écrit, doublure du drame joué.

Au commencement du XVIIe siècle, la liberté de la presse existait effectivement en Angleterre, non pas cette liberté complète, légalement garantie, que nous y voyons régner aujourd’hui et qui étonne encore ceux-là même qui s’y croient les plus accoutumés, mais une liberté de fait, suffisante pour la discussion des affaires publiques. Depuis 1693, toute nécessité d’une autorisation préalable pour imprimer, toute censure avait cessé d’exister. Les juges s’obstinaient bien à prétendre qu’une critique dirigée contre le ministère l’était contre le gouvernement, conséquemment contre la reine, et constituait un libelle dans le sens de la loi, et c’étaient les juges qui en décidaient, non les jurés, réduits au droit de constater le fait de publication ou l’exactitude des extraits ; mais cette jurisprudence redoutable était rarement appliquée, parce que les poursuites étaient peu fréquentes, les formes de l’instruction criminelle et l’absence d’un ministère public ayant de tout temps rendu difficiles en Angleterre certaines oppressions par la voie judiciaire. Ce qui était bien plus à craindre, c’est l’intervention des chambres de parlement. Elles s’arrogeaient le droit non-seulement, ce qui se fût compris, de condamner et de punir les écrivains qui attaquaient leurs privilèges ou l’honneur de leurs membres, mais de flétrir et d’expulser ceux de ces membres qui avaient abusé de la presse, de déclarer séditieuses les publications qui leur semblaient telles, d’ordonner qu’elles fussent brûlées, et d’en mettre les auteurs à la disposition du pouvoir royal. Mais enfin ces coups d’autorité ne revenaient que de loin en loin. D’ailleurs, au temps passé, un fait général dont nous n’avons plus l’idée était singulièrement favorable à la liberté réelle : c’était l’imperfection de la police. Rien n’était plus facile alors, et particulièrement à Londres, que de dissimuler le nom d’un auteur et souvent d’un imprimeur. Les écrits politiques étaient pour la plupart anonymes ou pseudonymes, et la découverte de leur véritable origine n’était point facile à la justice. Tous les partis ayant besoin, chacun à leur tour, de la protection du secret, respectaient le voile dont se couvraient leurs adversaires. D’autres moyens de dissimulation