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scène. Parmi les écrivains qui se partageaient l’attention publique, nous distinguerons De Foe, Steele, Addison et Swift.

On connaît De Foe par Robinson Crusoe, comme Swift par Gulliver ; en France du moins, on ne sait guère que cela. Ni l’un ni l’autre en 1710 n’avait acquis encore son principal titre à la renommée littéraire, et cependant le premier était déjà en possession d’une célébrité que le second allait atteindre bientôt et dépasser. De Foe est l’auteur de nombreux récits où, comme dans Robinson, la fiction est merveilleusement revêtue des apparences de la réalité : son talent, c’est le naturel ; mais De Foe est aussi un écrivain politique, et c’est comme tel qu’il a publié plus des neuf dixièmes des deux cent dix ouvrages qu’on met sur son compte. Né presbytérien, fils d’un boucher de Londres, élevé dans le petit commerce de cette ville, malheureux et ruiné par les divers trafics qu’il avait essayés, soldat volontaire dans l’armée de Monmouth, whig bourgeois, libéral de boutique, il commença à écrire à vingt ans contre Jacques II. La révolution le transporta de joie ; mais il resta obscur et misérable avec tous ses pamphlets, feuilles légères, vers de circonstance, jusqu’au jour où il publia son Véritable Anglais {Trueborn Englishman, 1701), dont on vendit quatre-vingt mille exemplaires. C’était une défense de Guillaume III, qui en fut touché, voulut voir l’auteur, le prit en gré, et lui fit espérer sa protection. De Foe redoubla d’ardeur et de fécondité. Il écrivit sur toutes les questions, sur tous les événemens, et il écrivit avec force, avec clarté, avec bon sens, d’un style bien anglais, mais peu élégant, peu élevé, et qui n’est pas toujours correct. Il n’affecte ni la délicatesse ni la profondeur ; il n’a ni grande politique ni grande littérature, mais une verve intarissable, de la logique, de la franchise et du courage. Dévoué au roi et aux principes de la révolution, il les défend avec opiniâtreté, et il y croit assez pour ne pas soupçonner aisément que l’esprit de l’un et de l’autre cesse d’animer le pouvoir, ce qui fait qu’il se méprend parfois, et défend le gouvernement en lui prêtant ses opinions, parce que le gouvernement devrait les avoir. La grande et irritante question de la conformité occasionnelle le passionna plus qu’aucune autre. Dissident lui-même et chrétien fidèle, il la traite en vingt écrits du point de vue de la tolérance, et la haute volée ecclésiastique n’a pas d’ennemi plus acharné. Un de ses pamphlets, le Moyen le plus court pour en finir avec les dissidens (1703), émut vivement le public. C’était une exposition des doctrines d’absolutisme ecclésiastique d’après Sacheverell et ses patrons, où, poussant avec ironie leurs principes à l’extrême, il trompa d’abord ses lecteurs, et même un peu l’université d’Oxford. Cependant, comme tout le monde n’était pas dupe, on rechercha l’auteur, car l’ouvrage était anonyme, et quand on découvrit