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son nom, il y eut clameur contre lui. La chambre des communes ordonna que l’ouvrage fut brûlé, et De Foe, activement poursuivi par les soins de lord Nottingham, fut saisi, traduit aux assises d’Old Bailey, condamné au pilori et à la prison pour le temps qu’il plairait à la reine (1703). Il composa une hymne au pilori, ode ou satire piquante, fière, indignée. Enfermé à Newgate, il ne cessa pas d’occuper le public. C’est là qu’il conçut l’idée de la Revue, recueil périodique qu’il composait à lui seul et qui parut pendant neuf ans, sans que l’auteur interrompit pour cela le cours de ses publications détachées. La seconde année de sa détention, il reçut un message de Harley ; celui-ci, qui avait remplacé lord Nottingham, demandait au prisonnier ce qu’il pouvait faire pour lui. Comme on sait, il ne pratiquait pas pour son compte l’intolérance religieuse, et laissant son parti poursuivre les dissidens en masse, il les protégeait en détail. Le ministère d’ailleurs était modéré. La reine cependant ne se laissa pas d’abord attendrir : elle refusa à De Foe sa grâce en envoyant un secours à sa femme ; mais Godolphin s’étant joint à Harley, tous deux obtinrent la liberté de l’écrivain vers la fin de 1704. Celui-ci fut même, quelque temps après, employé par le gouvernement. Il ne cessa pas d’imprimer ; seulement ses obligations nouvelles commencèrent à mettre un peu de gêne dans sa polémique. Fidèle à sa reconnaissance pour la reine dont il voulait ignorer les préjugés, pour Harley dont il palliait les torts, il continua de soutenir les mêmes principes, de combattre les mêmes ennemis, en ayant soin d’épargner le gouvernement. Il ne déserta ni la cause de la tolérance, ni celle de la révolution, ni la gloire de Marlborough ; mais, avec des principes whigs, il ne s’enrôla pas dans le parti whig, et grâce à quelques distinctions, à quelques réticences, il écrivit à sa mode et fit la guerre pour son compte. Son talent se soutint sans s’élever. Il y a beaucoup de remplissage dans ses œuvres, une facilité remarquable, de la fécondité sans éclat, de la chaleur sans éloquence, rien de supérieur, rien d’exquis, mais une certaine égalité d’intelligence, de raisonnement et d’entrain, qui se retrouve en toutes circonstances et sur tous les sujets. Au moment de la formation du second ministère de Harley, le rédacteur de la Revue se trouvait engagé dans la lutte la plus vive contre la haute église. Le procès de Sacheverell avait exalté les passions ; la multitude insultait ses adversaires. De Foe, menacé de toutes les manières, avait fait tête à l’orage et dénoncé comme un complot factieux les desseins des tories. Or, l’artisan du complot était son protecteur, peut-être son corrupteur, Harley. L’embarras dut être grand pour De Foe. En attaquant ce qu’il n’aimait pas, l’église, le torisme, les Stuarts, les catholiques, il était habitué à avoir pour soi le gouvernement, et même comme on disait alors, la cour. Il aimait cette position,