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il ne s’avouait pas l’auteur, il relevait bien en toute occasion ce que coûtaient à l’état et les triomphes et le triomphateur. Il opposait le compte de la reconnaissance romaine envers un général vainqueur au compte de l’ingratitude britannique, et il calculait que les frais de la première s’élevaient à 994 livres sterling, tandis qu’à la fin de 1710 Marlborough avait coûté à la seconde la modeste somme de 540,000. Dans le numéro 28, du 8 février 1711 v. s., il donna comme traduite du latin une prétendue lettre à Crassus après la conquête de la Mésopotamie, satire sanglante où chaque mot déchire celui dont elle proclame l’habileté et la gloire. Cependant Swift nous raconte que lord Rivers se plaignait devant lui que l’Examiner traitât trop poliment Marlborough, et il épuisait son éloquence pour persuader aux extrêmes tories d’être plus modérés ou plus patiens. Saint-John, qui les caressait beaucoup, ne pouvait non plus en cela se résoudre à leur complaire ; mais leur mécontentement ne retombait pas sur lui : c’est Harley qu’ils accusaient, et la reine même, qui ne voyait guère dans la politique que les questions de personnes, commençait à se défier d’un zèle qui n’épousait pas ses antipathies. Avec l’autorité du ministère, celle de Harley aurait fini peut-être par s’ébranler, si un incident imprévu n’était venu la raffermir.

Un Français du pays des Cévennes, l’abbé de la Bourlie, frère du comte de Guiscard, lieutenant-général, avait compromis son nom et son état dans tous les dérèglemens de jeunesse qui commencent la vie des aventuriers. On disait même qu’il avait enlevé des religieuses, extorqué de l’argent par la torture, empoisonné une maîtresse qui le gênait, mérité enfin d’être pendu en effigie dans la capitale du Rouergue. Puis, reprenant son épée de gentilhomme, il s’était jeté parmi les révoltés du haut Languedoc, les appelant à la liberté civile et religieuse par des harangues imitées du Catilina de Salluste ; c’est du moins ce qu’on lit dans ses mémoires. Cette entreprise ayant échoué, il s’était fait, sous le nom de marquis Antoine de Guiscard, accueillir à la cour de Savoie, encourager par le prince Eugène, et vers 1706 il était venu en Angleterre. Là il s’était adressé à Saint-John, alors secrétaire de la guerre, qui aimait les Français et ne haïssait pas les aventuriers, quand ils étaient hommes de plaisir. Une sorte d’intimité s’établit entre eux, et la vertu n’en fut pas le lien. Guiscard avait des besoins et des projets. Il pressa les ministres, et on lui donna à commander des régimens de protestans réfugiés qui formaient un corps de débarquement réuni à Torbay pour tenter une expédition sur notre littoral. Au moment de partir, on reconnut un peu tard que ses plans ne reposaient sur rien de sérieux, et comme lord Galway, qui guerroyait en Espagne, demandait du renfort, une partie du corps expéditionnaire fut dirigée sur le Portugal. À la bataille