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qui paraissent venir d’hommes appartenant à une classe plus instruite ne vivent guère que dans les souvenirs populaires. Précieux élémens pour l’étude du caractère local, ces rapsodies sont très difficiles à réunir, parce que les individus qui les savent par cœur sont incapables de les écrire. L’amour en forme le sujet le plus commun, et on y rencontre souvent la véritable inspiration poétique. Ce qui distingue les compositions de ce genre, c’est la tendresse, mais la tendresse liée à la mélancolie et à la passion. Quelques morceaux littéralement traduits donneront une idée de ces épanchemens de la pensée populaire. Un amant s’adresse ainsi à sa maîtresse :


« Je l’aime… - comme le rossignol des champs - aime à chanter sur la mousse - en voyant le soleil couchant. — Je l’aime comme une pâquerette - aime le gazon velouté ; — comme une rose épanouie, — quand le vent la fait balancer. — Je voudrais être la chansonnette - qui te fait chanter tout le jour, — et la tourterelle blanchette - qui te fait soupirer d’amour. – Je voudrais, quand tu pleures en silence, — te consoler en cachette ; — je voudrais emporter ta souffrance - et tes larmes dans un baiser. »

Une autre chanson, intitulée la Fileuse, représente une jeune fille qui a quitté ses montagnes pour venir travailler à la ville, filant assise sur un banc de pierre au moment où le soleil regardait sournoisement (espinchounava) à travers le brouillard du matin :

« Et tout en filant elle chantait, — et tout en chantant elle disait : — Que tu es heureuse, hirondelle !… - Si comme toi j’avais des ailes, — je sais bien où je volerais. »

Et la fieuse laisse voler son imagination au-delà des montagnes qui s’élèvent à l’horizon lointain, vers une chaumière bien vieille dont les murs sont couverts de lierre, et où les petits lézards gris vont durant l’hiver boire le soleil [van beouré lou sourel) :

« C’est là que j’irais voir - le narcisse au bord du fossé, — et puis pour me mirer, — l’eau limpide comme un verre… - C’est là qu’au temps de la moisson, — Joseph, vers la fin d’un jour, — me parla de son amour ; — moi j’étais toute troublée… - Alors je trouvai la vie - belle comme un jour de mai ; — le soleil brillait davantage, — la rose était plus jolie… - Le bonheur ne dure guère, — le mien fut bientôt fini… »

La jeune fille raconte qu’elle vit mourir sa mère et partir son amant, enlevé pour le service militaire :

« Et moi, loin de mon pays, — je laisse envoler ma pensée - vers mon amant à l’armée, — vers ma mère au paradis. »

Après l’amour, la plaisanterie nous semble être pour les chansonniers du bas Languedoc la source la plus féconde où ils vont puiser. Les chansons dans le genre plaisant emploient fréquemment, il est