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dernières années, les masses laborieuses, sur divers points de la France, égarèrent un moment leur activité intellectuelle dans les folles rêveries du socialisme. Ces préoccupations étranges n’aboutissaient à rien moins qu’à les séparer des autres classes sociales, sur le sol nîmois, au contraire, les idées qui remuent véritablement les intelligences sont communes à tous les individus d’un même culte, quelle que soit du reste leur position. Que la préoccupation religieuse revête ici telle ou telle forme suivant les circonstances, c’est elle, c’est toujours elle qui domine. Les dissentimens politiques mêmes dont la réalité est incontestable projettent leurs plus profondes racines sur le terrain de la religion. Quand, sous le gouvernement de juillet, le haut commerce, la grande industrie dirigeaient les affaires locales, voyait-on dans ce fait la prépondérance des intérêts économiques ? Non, c’était plutôt l’influence protestante qui se sentait triompher. Lorsque, grâce au nouveau mode électoral, grâce aux votes des ouvriers, l’influence contraire a été assez puissante pour annuler l’élément le plus riche de la cité, pour exclure en masse les protestans du conseil municipal, est-ce une opinion politique qui s’applaudit du succès ? Aucunement ; c’est encore une pensée religieuse. S’il était permis de supposer tous les individus embrassés dans le cercle d’un même parti, tous les fronts rangés sous un même drapeau, on n’en verrait pas moins l’animosité religieuse, conservant sa place dans les cœurs, créer bientôt, pour s’épancher au dehors, des contestations purement arbitraires.

En raison de ces tendances si énergiques et passées à l’état d’instinct, on ne s’étonnera pas que la vie publique des ouvriers nîmois ne ressemble nullement à la vie des ouvriers d’autres grandes villes manufacturières. D’abord on n’a jamais vu dans les Garrigues ces tiraillemens continuels entre patrons et ouvriers qui rendent les relations quotidiennes inquiètes et désagréables, et dégénèrent souvent en désordres extérieurs. Les coalitions y sont un fait inconnu ; on ne s’y concerte pas pour les questions de salaires. On poète nîmois a pu dire avec raison que sa ville

N’arme jamais son bras pour demander du pain.

Sous le coup de la révolution de février, à la nouvelle des événemens de Paris, une forte émotion s’empara de la population industrielle de Nîmes ; mais en dépit des influences politiques qui cherchaient alors a réunir en un même faisceau les travailleurs enrôlés au service des fabriques, les ouvriers nîmois ne se laissèrent pas entraîner à l’agitation au nom de ce qu’on leur présentait comme leur intérêt collectif. Ce qui parut inquiétant, ce fut l’attitude des catholiques et des protestans les uns à l’égard des autres. Il suffisait de l’ardente influence des événemens pour réchauffer tout d’abord les