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publier à l’appui de son premier livre, si solennellement débattu dans la presse et au congrès ; mais, ni dans la Case de l’oncle Tom, ni dans la Clé de la Case, la donnée religieuse ne domine comme dans les deux romans de mistress Wetherell, où la Bible, citée à chaque instant, commentée par tous les personnages, devient peu à peu, si ce mot est permis, l’héroïne de ces deux récits. Mistress Stowe, au besoin, descend dans l’arène inférieure où les intérêts humains se débattent entre eux sans intervention d’en haut. Elle prend à partie les mœurs ou la loi, très fréquemment, de par la philosophie et la raison, sans recourir aux anathèmes des patriarches ou des prophètes inspirés, — quitte à les invoquer à leur tour et à faire donner sur la fin du combat, pour décider la victoire, leurs phalanges drapées de blanc. Mistress Wetherell est plus exclusive, et sans se refuser, ça et là, le bénéfice de quelques causticités purement mondaines, on voit qu’elle mesure tout, pèse tout, juge tout d’après la suprême autorité du livre par excellence. Que ce soit là sa force ou sa faiblesse, qu’on doive l’en critiquer ou l’en féliciter, nous ne prendrons pas sur nous de le décider, la conscience et les lumières de chacun devant servir de règle à cet égard ; nous chercherons seulement à nous expliquer cette tendance, qui serait chez nous réputée assez singulière, et qui paraît toute simple en Amérique.

La Bible est là ce qu’elle n’est pas ailleurs, une tradition historique, et la plus ancienne de toutes. Ce furent des persécutions religieuses, — la religion et la politique s’étant singulièrement amalgamées, — qui poussèrent sur ces rives lointaines les premiers colons anglais. Ils y arrivèrent imbus de ces doctrines austères qui n’avaient pu se plier aux nécessités gouvernementales, et qui, de l’examen libre accordé à la conscience, déduisaient irrésistiblement le droit de self-government dans l’ordre des intérêts politiques. Reportez-vous au temps du Covenant, alors que la république s’appelait le « Seigneur Jésus, » et Charles Ier « l’Antéchrist, » alors que le clergé écossais, sommant tous les liges de seize à soixante ans de se présenter en armes, les invitait « à se tourner vers Dieu par le jeûne et la prière, » et déclarait que Juda (le presbytérianisme écossais) ne pouvait longtemps demeurer en liberté, si « Israël était emmené captif, » c’est-à-dire si la prélature et le papisme venaient à prévaloir en Angleterre. À cette époque déjà, que de malheureux avaient fui, de l’autre côté de l’Atlantique, l’oppression royale exercée contre eux sous les deux espèces, au spirituel et au temporel ! Descendez ensuite le cours des temps jusqu’à la restauration des Stuarts, et vous verrez derechef les sectaires indépendant ne trouver de refuge pour leurs opinions, de sûreté pour leurs personnes, que sur ces rives lointaines, où les reléguait une politique plutôt embarrassée d’eux que