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qui gouverne l’Espagne ? Il serait assez difficile de rien préciser à ce sujet. Ce n’est point une politique de réaction absolue, puisqu’il n’est plus question des projets de réformes constitutionnelles qui avaient été présentés il y a quelques mois, et qui ont été, on s’en souvient, l’élément le plus considérable des crises du commencement de l’année ; mais ce n’est point non plus évidemment une politique s’inspirant de la stricte légalité constitutionnelle, puisqu’on ne parle pas de la convocation des chambres. Les incidens mêmes qui se produisent ne caractérisent pas fort nettement le sens général de cette situation. Récemment, en effet, une nouvelle crise ministérielle, avait lieu à Madrid, le ministre de fomento ou des travaux publics, M. Claudio Moyano, se retirait et était remplacé par M. Esteban Collantes ; mais la raison de cette démission, quelque importante qu’elle fut, ne touchait pas peut-être aux points les plus essentiels de la politique. M. Claudio Moyano était d’avis que le gouvernement ne devait point valider les concessions de chemins de fer faites jusqu’ici sans le concours des cortès ; le reste du cabinet a été d’une opinion opposée. En principe, il est évident que M. Moyano avait raison ; d’un autre côté, il faut considérer la perturbation qui allait en résulter dans toutes les entreprises de ce genre et le retard qui pouvait s’ensuivre dans l’exécution des chemins de fer espagnols. C’est cette considération sans doute qui a dirigé le gouvernement. Quoi qu’il en soit, c’est une question vidée aujourd’hui. Si elle avait d’ailleurs un caractère des plus sérieux, nous le répétons, elle n’était point, il s’en faut, toute la politique. Il reste pour le cabinet espagnol des questions plus graves à résoudre ; il lui reste à prendre un parti sur la convocation des chambres, sur l’opportunité des réformes constitutionnelles, même sur le rappel du général Narvaez. C’est là ce qui constitue aujourd’hui la politique au-delà des Pyrénées, et c’est sur ces points que le cabinet de Madrid ne saurait tarder davantage, il nous semble, à prendre une décision qui mette un terme à toutes les incertitudes et montre sous son vrai jour la situation du pays. Il le peut d’autant mieux en ce moment, que les passions se taisent, qu’aucun symptôme sérieux d’agitation ne se manifeste, et que l’Espagne ne demande qu’à entrer dans la voie de toutes les améliorations matérielles, à l’abri d’un régime à la fois libéral et protecteur, et surtout empreint d’un caractère certain et durable.

Si l’Espagne n’est point pour elle-même exempte d’embarras, elle a enfanté tout un monde au-delà des mers où malheureusement les agitations sont loin de s’apaiser avec le temps. Il semble, au contraire que chaque effort de ces états hispano-américains doive être suivi de convulsions nouvelles. Qu’on observe, les régions de la Plata : depuis moins de deux ans, la République Argentine a vu tomber Rosas et se succéder deux ou trois révolutions. D’abord, au mois de juin 1852, c’est un coup d’état accompli par le général Urquiza ; un peu plus tard, le 11 septembre, c’était une révolution opérée à Buenos-Ayres pour renverser Urquiza. À la fin de l’année, on s’en souvient, survenait un nouveau mouvement tenté dans la campagne, de Buenos-Ayres contre le gouvernement issu de la révolution de septembre et en faveur d’Urquiza. Il y a plus de six mois déjà, et la guerre civile n’a cessé de sévir dans ces contrées. Le malheur de la lutte actuelle, c’est qu’elle se complique, de tous les élémens anciens des révolutions de ce pays, passions anarchiques, chimères d’un libéralisme outré et inapplicable, antagonisme de la ville de Buenos-Ayres