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situation du ministère, et ce qui semble montrer qu’il n’était pas innocent de certaines arrière-pensées, c’est qu’il acceptait cette situation et ne faisait rien pour en conjurer les périls. Les élections durent cependant les lui révéler. Les whigs revinrent plus forts qu’ils ne l’espéraient ; mais une opinion surtout, celle des tories hanovriens, parut en grand progrès.

Avec de la sincérité et de l’accord entre eux, les ministres auraient pu encore traverser la crise ; malheureusement la sincérité leur était impossible, soit qu’ils fussent engagés dans un véritable complot en faveur des Stuarts, soit que la complication de leurs intrigues les condamnât à des évasions et à des réticences aussi dangereuses que la trahison, soit enfin qu’incertains dans leurs prévisions, prêts pour toutes les hypothèses, ils voulussent ne se fermer aucune issue et se ranger du côté des événemens. Il faudra bien tout à l’heure nous expliquer sur cette question encore controversée ; mais ce qui n’est pas une question, c’est que la vérité n’était ni dans leur caractère, ni dans leur politique, ni dans leur position. Quant à la désunion, elle était arrivée à l’inimitié. Bolingbroke ne pouvait plus supporter l’empire, encore que mollement exercé, de son rival. Ses lettres à lord Strafford, à lord Anglesea, au chancelier d’Irlande, à Prior enfin, sont remplies de ses plaintes. Il se présente comme abandonné, comme trahi, comme entouré de pièges. Les whigs relèvent la tête, la reine est insultée ; avec une majorité immense, le gouvernement succombe, parce qu’il est déserté par ses amis, parce qu’il se déserte lui-même. Personnellement il n’est attaqué et menacé que pour avoir supplié de changer de conduite celui qui a laissé les choses en venir là. Il paraît qu’en effet les défauts du comte d’Oxford s’étaient, selon l’usage, accrus et divulgués dans le pouvoir. Il fatiguait ses collègues, son parti, la reine elle-même. Indécis, menteur, indolent, il n’avait plus que l’activité nécessaire pour dissimuler ses négligences, ses perfidies et ses fautes. Plus brillant, plus décidé, plus entraînant, Bolingbroke portait plus de loyauté dans les détails, et ne trompait que dans de plus grandes choses. Il disait qu’il fallait un peu de ruse dans les affaires, comme il faut un peu d’alliage dans les monnaies d’or ou d’argent, mais que la monnaie devient fausse, si l’on dépasse la dose. Son succès dans l’importante affaire de la paix l’avait confirmé dans son imprudence naturelle. Il entreprit donc résolument de supplanter le premier ministre. Celui-ci, quoi que l’on racontât de ses relations avec le prétendant, jugeait la situation avec plus de vérité. Par timidité ou par sagesse, il se compromettait moins, c’est son caractère plutôt que sa conduite qui inspirait les soupçons. Essentiellement propre à louvoyer entre tous les vents, il apercevait l’écueil. Il n’avait entièrement rompu aucun