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je crois maintenant pouvoir, comme simple particulier, me permettre de renouveler votre congé, à la condition que votre absence me vaudra votre présence, car demain matin je serai un simple particulier. Dès que j’aurai réglé ici mes affaires domestiques, j’irai à Wimple ; de là, seul dans le Herefordshire. Si nos tête-à-tête ne vous ont pas ennuyé, accourez pour tout ce temps-là vers quelqu’un qui vous aime ; je crois que dans la masse des âmes les nôtres ont été faites pour être l’une auprès de l’autre. Je vous envoie une imitation de Dryden, qui m’est venue en allant à Kensington (chez la reine). « Servir avec amour et répandre son sang est approuvé là-haut ; mais ici-bas les exemples montrent qu’il est fatal d’être bon. »

De Lady Masham à Swift, 29 juillet. — « Mon bon ami, j’avoue que cela n’a pas l’air très aimable à moi de passer tout ce temps sans vous remercier de votre sincère et aimable lettre, mais j’avais résolu d’attendre que je pusse vous dire que la reine avait assez pris l’avantage sur le Dragon pour lui retirer son pouvoir des mains. Il a été pour elle et pour tous ses amis l’homme le plus ingrat qui soit jamais venu au monde. Je ne puis avoir en ce moment tout le temps de vous écrire, parce que ma chère maîtresse n’est pas bien, et je pense que je puis mettre son mal à la charge du trésorier, qui depuis trois semaines entières l’a tourmentée, vexée sans interruption, et elle n’a pu se débarrasser de lui que mardi dernier (27 juillet)… Nous abandonnerez-vous et irez-vous on Irlande ? Non, c’est impossible ; votre bonté est toujours la même, votre charité et votre compassion pour celle pauvre lady, qui a été barbarement traitée, ne vous permettent pas de vous éloigner. Je sais que vous aimez à secourir les malheureux, et il ne peut y avoir un plus grand objet de pitié que cette excellente lady. Je vous en prie, cher ami, restez ici… »

Voici maintenant ce qui s’était passé. Le 9 (20) juin, Oxford, poussé à bout, adressa à la reine un compte-rendu de son administration. Dans ce mémoire, qui est curieux par la simplicité, et qui n’est pas d’un grand ministre (mais peut-être il fallait se mettre à la mesure de la reine Anne), il lui rappelle les travaux et les succès de sa gestion financière, et revendique une forte part dans la conclusion de la paix. Il accuse Bolingbroke d’avoir voulu, dès le mois de février 1711, se faire un parti dans la chambre, et il ajoute que c’est à la même époque que le secrétaire d’état l’a invité à dîner pour la dernière fois. Il lui reproche son irritation lors de sa promotion à la pairie, sa négligence de certaines mesures pendant tout le temps que lui, Harley, avait été malade, et il montre combien il serait injuste de reporter sur lui-même la responsabilité de tous les manquemens du secrétaire d’état. On aperçoit bien que, sans l’accuser, il s’en prend à lady Masham, et en effet, n’ayant plus à la ménager, il venait de mettre opposition à une gratification annuelle de 1,500 livres sterling qu’elle avait obtenue.

La reine avait sa résolution prise ; elle ne fit aucune réponse, et, comme elle était souffrante, elle ne tint point de conseil. On doit