Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/945

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

samedi 31 juillet, il attendit à Kensington, pour recevoir ses dernières instructions, Bolingbroke, qui ne vint pas. Tout indique donc que ce dernier avait, comme on dit, fait son thème en plusieurs façons ; mais, quel que fut son plan préféré, il allait s’évanouir dans la région fantastique où s’envolent les rêves des ambitieux. La scène de la rupture avait profondément ébranlé la reine. Elle se trouva mal le 29 juillet, et son état parut aussitôt désespéré. En ce moment critique, tous les partis furent sur pied. Les whigs s’y étaient préparés dès longtemps. Ils étaient organisés, prêts à soutenir la loi par la force, si la force attentait à la loi. Le général Stanhope devait s’emparer de la Tour de Londres, et Marlborough passer le détroit. Les jacobites s’échauffaient dans leurs espérances ; mais, bercés d’illusions, ils avaient compté sur la reine, sur une conspiration de cour, et la cour était éperdue, la reine mourante, le ministère dissous. Le gouvernement était pris au dépourvu en pleine crise ministérielle. Oxford n’était plus chef du cabinet, mais Bolingbroke ne l’était pas encore. Il comptait sur lord Shrewsbury, mais Shrewsbury était un esprit élevé et clairvoyant. Son ambition était supérieure à son courage ; il avait pu manquer de franchise et de constance, mais il aimait le bien public et savait le discerner dans les circonstances décisives. Ni sa timidité ni sa conscience ne s’accommodait d’une politique aventureuse. Réservé, dissimulé même, il sut prendre son parti sans le dire, et n’oublia pas qu’il avait participé à la révolution de 1688. Il prévint donc secrètement les ducs d’Argyll et de Somerset, et au moment où un conseil privé, composé des grands officiers et des ministres, s’assemblait à Kensington, les deux lords whigs y parurent sans avoir été convoqués ; Shrewsbury les remercia et les invita à prendre séance. Sur les déclarations des médecins que le danger de la reine était pressant, ils proposèrent de pourvoir aux fonctions de lord trésorier, et de prononcer à la reine le nom de Shrewsbury. Le coup fut terrible ; Bolingbroke pâlit, mais ni lui ni personne n’osa faire d’objection, et lui-même ne put refuser d’aller avec les deux autres secrétaires d’état, Bromley et le comte de Mar, auprès du lit de la reine lui proposer la nomination du duc de Shrewsbury pour lord trésorier. Elle répondit d’une voix faible qu’on ne pouvait lui recommander personne qui lui convint mieux, et, en lui remettant la baguette, elle lui dit : » Usez-en pour le bien de mon peuple ; » puis elle retomba épuisée, si même elle ne l’était trop déjà pour avoir prononcé ces paroles.

Le conseil privé se compose, comme on sait, des hommes les plus considérables des deux chambres, de ceux qui remplissent ou qui ont rempli de grandes charges ; mais ceux-là seuls y assistent qui sont spécialement appelés. Sur la proposition d’Argyll et de Somerset, Shrewsbury le convoqua tout entier. Non-seulement lord Oxford,