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qui les avaient enterrées n’avaient pas paré à la difficulté en déposant à côte deux pierres transparentes comme du cristal, montées à la manière d’une lorgnette, et qui n’étaient autres que l’urim et le thummim placés jadis sur le pectoral du grand’prêtre hébreu. Ces gemmes, qui ont tant exercé la sagacité des érudits, servaient à consulter la volonté du Seigneur, et permettaient de lire dans l’avenir Tel était aussi l’usage qu’en devaient faire les descendans américains des Israélites. Il n’y avait donc plus besoin de philologue pour déchiffrer les caractères égyptiens réformés ; il suffisait de braquer la lorgnette magique sur les plaques en question, et le sens vous en était révélé. Grâce à ces lunettes merveilleuses, Smith traduisit tout le contenu des plaques, et il écrivit de la sorte le Livre de Mormon ou Histoire sacrée des peuples aborigènes de l’Amérique, dont l’un des apôtres de la secte, M. John Taylor, a donné une version en français.

Le Livre de Mormon renferme plusieurs parties distinctes portant chacune le nom du patriarche américain qui en est l’auteur : Nephi, Jacob, Enos, Alma, Hélaman. Mormon enfin, dont le nom a été étendu à tout le livre, et qui est censé avoir composé la dernière partie. C’est ce patriarche qui nous apprend que les caractères sont de l’égyptien réformé, langue que ces Israélites ont préférée à l’hébreu, parce que les lettres hébraïques eussent occupé trop de place, et que les plaques n’étaient point d’une largeur suffisante. Voilà qui nous donne à penser que les mots de l’égyptien réformé ont, comme les mots turcs du Bourgeois-Gentilhomme, la propriété de dire toute une phrase en quelques syllabes. Après le Livre de Mormon vient une sorte de post-scriptum dont l’auteur est un ange du Seigneur du nom de Moroni, qui avait été lui-même un ancien prophète parmi les descendans de la tribu de Joseph sur le continent américain. C’est Moroni qui a scellé les annales en les accompagnant d’une exhortation à ses frères.

Le Livre de Mormon est une contrefaçon évidente de la Bible, une sorte de pastiche de la Genèse, des Livres des Rois, des Épîtres des Apôtres et de l’Apocalypse. Non-seulement on y rencontre des imitations fort transparentes, mais jusqu’à de véritables emprunts. On ne saurait dire cependant que ce livre, pour des personnes naïves et habituées à la lecture de l’Écriture sainte, soit dépourvu de toute espèce d’intérêt. Pour celles au contraire qui sont moins faciles et plus éclairées, les anachronismes, les invraisemblances, l’étrange discordance des noms, enlèvent au livre toute autorité. Les prophéties placées dans la bouche de personnages antérieurs au christ, sur sa venue et sur l’établissement du christianisme, celles de Jésus lui-même, que l’on suppose s’être rendu en Amérique après sa résurrection, et avoir annoncé son Évangile aux descendans d’Israël, sont assez transparentes pour qu’on s’aperçoive aisément de la supposition ; mais n’en était-il pas de même des oracles des sibylles inventés par les premiers chrétiens ? Et cependant que de fidèles s’y sont laissés prendre, des pères de l’église compris !

Trois peuples figurent dans le Livre de Mormon — le peuple de Jared, dont les ancêtres sont venus en Amérique après la confusion des langues ; le peuple de Zarahemla, qui a quitté Jérusalem au temps de la captivité de Sédécias ; enfin les descendans de Lehi, qui ont aussi abandonné la ville sainte sous le même roi, mais au commencement de son règne. Ces trois peuples occupent