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sentaient qu’ils avaient besoin d’éloigner tout obstacle du dehors, afin de vider les difficultés intérieures. Il s’agissait de remplacer J. Smith, et une rivalité terrible s’était établie entre Sidney Rigdom et Brigham Young, l’un des douze apôtres[1]. Rigdom avait eu une révélation qui ordonnait aux saints d’abandonner Nauvoo et d’aller s’établir en Pennsylvanie. Cet ordre du ciel était en contradiction formelle avec tout ce qu’avait dit Joseph Smith de son vivant. Rigdom fut sommé de comparaître devant le tribunal des douze apôtres, parmi lesquels, outre Brigham Young, figuraient Héber C. Kimball, Parley P. Pratt, Orson Hyde, Willard Richards, John Taylor et Orson Pratt Rigdom fut condamné devant ce premier concile. Ainsi, chose remarquable, se trouvèrent successivement évincés de la société mornionienne ceux qui en avaient été les véritables fondateurs, les premiers compagnons de J. Smith, Rigdom, Cowdery, Martin Harris.

Les saints du dernier jour ne restèrent guère que deux années à Nauvoo, sous le gouvernement de Brigham Young, devenu l’héritier de Smith. Malgré les adhérens que la secte ne cessait de recruter dans les différens états de l’Union, et qui venaient chaque jour accroître la population de la colonie dans l’Illinois, les attaques, les accusations contre les saints se succédaient sans interruption. Leur grand publiciste Phelps, dans son journal intitulé Times and Seasons, les défendait de son mieux Le temple qu’ils avaient construit était surtout le thème de ses amplifications complaisantes, il s’élevait comme par enchantement ; l’argent abondait pour faire face aux dépenses de sa construction, et tout promettait un édifice plus splendide qu’aucun de ceux qu’avaient érigés les religions anciennes. Les Mormons n’appelaient plus Nauvoo que la Cité sainte, la Cité de Joseph ; mais ces mots leur portaient malheur, et la Cité sainte se voyait assaillie par des cohortes prêtes à recommencer contre la nouvelle Jérusalem l’œuvre de destruction accomplie sous Vespasien contre l’ancienne. Une fois, la populace anti-mormonienne vint incendier les maisons et les greniers possédés par les sectaires dans le sud du comté de Handcock ; une autre fois, on alla mettre un siège en règle devant Nauvoo. Ces attaques furent si réitérées, que la nouvelle église prit le parti d’abandonner son territoire et d aller chercher encore ailleurs sa terre promise.

C’est ici que commence véritablement L’exode des nouveaux Israélites. Le peuple élu, car les Mormons formaient déjà tout un peuple, après avoir subi les horreurs d’un siège où il fut bombardé pendant trois jours, laissant le sol couvert de cadavres, s’enfuit à grand’peine, en septembre 1846, dans la direction de la vallée du grand Lac-Salé, où il fonda son établissement définitif. Qui guida les Mormons dans le choix de ce territoire si fort éloigné de leurs anciennes demeures ? Il semble qu’ils aient marché un peu à l’aventure. Leur voyage fut plutôt une succession d’émigrations, une vie nomade qu’une expédition proprement dite. Des éclaireurs avaient été en avant ; ils avaient traversé, les Montagnes-Rocheuses, avaient vécu avec les indiens, poussant devant eux les troupeaux qui fournissaient à leur alimentation, et dressant leurs tentes à chaque station ; une longue file de chariots portait leurs bagages

  1. La hiérarchie mormonienne, on la verra plus loin, comprend, outre un prophète, douze apôtres, soixante-dix conseillers et plusieurs anciens ou prêtres.