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Ici encore elle s’appuie sur la tendance singulière des populations d’un pays où la croyance au merveilleux est partout répandue. Nous n’insisterons pas sur ces traits bien connus de la physionomie des Mormons ; c’est sur les causes plus profondes de leur succès, sur leur situation actuelle et leur avenir que notre attention doit se porter.

Il est incontestable que les Mormons ont fait et font encore beaucoup de prosélytes, non-seulement chez les pionniers des nouveaux territoires de l’Union, mais encore en Angleterre et dans diverses parties du nord de l’Europe. Tout récemment, 1,300 nouveaux convertis sont partis du Danemark et des duchés pour les bords du grand Lac-Salé et la nouvelle Jérusalem, il s’est même rencontré au Havre quelques gens crédules qui, avant de s’embarquer pour l’Amérique, se sont fait baptiser mormoniquement. En Océanie, le mormonisme fait aussi de grandes conquêtes. Les missionnaires rencontrent là des populations vierges de toute incrédulité et d’une innocence intellectuelle vraiment primitive. Elles sont indifféremment préparées à admettre que le grand Atowa s’appelle Jésus-Christ ou n’est autre que Joseph Smith. Leur conversion à telle ou telle religion dépend en réalité de la vitesse de tel ou tel steamer, de tel ou tel baleinier. On s’empare de leur foi comme de leur terre, par droit de premier occupant. On peut donc prédire aux Mormons un grand succès dans la Polynésie, s’ils sont en mesure de prévenir l’arrivée des missionnaires catholiques ou méthodistes, et le zèle que déploient leurs apôtres rend la chose fort possible. Leurs missions ont depuis longtemps commencé. Brigham Young, Orson Pratt et Heber Kimball, trois des fondateurs du mormonisme, sont venus évangéliser eux-mêmes la Grande-Bretagne, et en 1843 ils avaient déjà gagné à leur religion plus de vingt milles personnes. John Taylor s’est rendu en France, mais son apostolat a été moins heureux.

La cause principale du succès de la nouvelle religion n’est pas tant néanmoins dans les efforts de ses missionnaires que dans l’ignorance des émigrans auxquels ils s’adressent. On sait que l’Angleterre, l’Irlande, l’Allemagne, versent chaque année dans le Nouveau-Monde une foule d’indigens de leurs villes et la portion la plus simple, la plus grossière de leur population rurale. Pour ces gens-là, les anachronismes du livre de Joseph Smith et l’absurdité de l’égyptien réformé ne sauraient être des abjections. Ils appartiennent d’ailleurs à une race qui s’est toujours fait remarquer par sa tendance mystique ou théosophique, comme on voudra. C’est chez eux que les nouveaux prophètes recrutent principalement leurs dupes, et cela non-seulement dans le peuple, mais chez les classes prétendues éclairées.

Une autre cause de succès pour la secte mormonique, particulière aux États-Unis, tient à l’extrême orgueil national de leurs habitans. Les Américains ont des annales fort courtes, qui ne remontent pas très haut, mais qui n’en sont ni moins intéressantes ni moins belles. Cela ne leur suffit point. Ils voudraient posséder une histoire ancienne, et les Peaux-Rouges ne leur ayant pas laissé de mémoires sur leurs émigrations, ils font les plus énergiques efforts pour tirer des antiquités américaines des indications historiques. L’idée favorite de bon nombre de savans américains, c’est que les Indiens viennent de l’Orient, de la Palestine. Il a été écrit plusieurs livres dans ce sens. Josiah Priest, dans