Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/999

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Déséret domine ce pays de l’avenir, il se lie par les affluens du Mississipi et du Missouri, qui n’en sont pas très éloignés, à l’Union, et par suite à l’ancien monde.

Le danger que court peut-être la société mormonienne tient à son annexion aux États-Unis. Déjà, depuis 1849, le pays des Mormons est reconnu comme territoire, mais il aspire à devenir un état. Une fois entré dans la grande fédération américaine, il subira l’influence des autres populations. Le gouvernement, qui aujourd’hui est au fond une théocratie, ayant à sa tête Brigham Young, devra se moduler et se mettre à l’unisson de l’organisation républicaine des autres provinces. Cette droiture, cette loyauté que les voyageurs ont admirée chez les nouveaux sectaires, ce sentiment d’ordre et de discipline, qui anime la colonie depuis son arrivée au bord du Lac-Salé, ne peuvent que perdre au contact des autres hommes. L’esprit de séparatisme, favorisé par le territoire qu’ils se sont choisi, leur inspire cette force, cette rigidité de principes par laquelle ils veulent se distinguer des gentils. Leur qualité de peuple élu, sur laquelle repose leur religion, ne saurait s’accorder avec des relations trop fréquentes entre eux et les disciples des vieilles croyances. Il y a certainement une assez frappante ressemblance entre les Mormons et les anciens Israélites. Institutions et territoires sont analogues. Les États-Unis ont été véritablement leur Égypte, et le grand Lac-Salé rappelle tout à fait la Mer-Morte. Pour ajouter à l’analogie, les Mormons ont baptisé du nom de Jourdain la rivière qui en sort. Or la nationalité juive, le mosaïsme primitif, reçurent une atteinte mortelle le jour où l’extension du commerce et les conquêtes des monarques assyriens firent sortir les Hébreux de la terre promise, où ils restaient auparavant confinés. Plus ce peuple se répandit sur la terre, plus l’esprit du Pentateuque s’affaiblit parmi eux pour faire place à des idées et à des croyances étrangères. Les Mormons, une fois entrés dans l’Union, seront donc entraînés à modifier les dogmes que leur a imposés J. Smith, et de deux choses l’une : ou ils se rapprocheront des sectes chrétiennes déjà existantes, dont ils ne constitueront plus qu’une variété, ou ils amalgameront à leurs doctrines actuelles les idées nouvelles qui courent les têtes aux États-Unis, sans avoir pris encore une forme religieuse.

Certainement le plus grand obstacle apparent qui s’oppose à ce que les Mormons puissent entrer dans le mouvement de notre civilisation européenne est leur tolérance en matière de polygamie. Les Mormons prétendent, il est vrai, qu’on les calomnie sur ce point ; mais les témoignages du capitaine Stansbury[1] et du lieutenant Gunnison[2] sont formels à cet égard. Ces deux officiers, qui ont visité le territoire d’Utah et qui d’ailleurs se montrent très favorables aux Mormons, ne peuvent laisser aucun doute. Chez ces sectaires, lorsqu’un homme déjà marié désire prendre une seconde femme, il

  1. Exploration and Survey of the valley of the great Salt Lake of Ulah, by Howard Stansbury ; Philadelphie 1852, in 8° [publié par ordre du sénat des États-Unis). Cet ouvrage nous a fourni sur les Mormons divers renseignemens.
  2. The Mormons or Latter-Day Saints in the valley of the great Salt Lake, by lieut. J.-W. Gunnison ; Philadelphie 1852, in-12.