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en s’efforçant de le ramener aux idées saintes par les douces images. Ce cœur endurci dans l’égoïsme et l’orgueil semblait se fondre insensiblement à son accent. Il s’ouvrit enfin comme le rocher sous la baguette de Moïse : deux larmes, les seules qui fussent sorties de ces yeux arides depuis plus de trente années, glissèrent le long de ses joues.

— Ah ! ce n’est pas ma voix, c’est celle de Dieu qui se fait entendre au dedans de vous ! s’écria Marthe. Ouvrez-lui votre cœur, et vous serez soulagé.

— Crois-tu qu’il se souvienne encore de moi ? murmura Jacques très bas et d’un accent presque honteux.

— En pouvez-vous douter quand il vous envoie les pensées qui consolent ? répliqua la jeune fille avec ferveur.

— Oui, reprit Barmou en se parlant à lui-même, on disait autrefois qu’il était toujours prêt à pardonner ; mais si on se trompait, si je n’avais plus le temps de l’apaiser !… car je sens que je vais vers lui,… et quand je me rappelle,… Marthe ! Marthe ! j’ai peur !

La figure de Barmou prit une expression d’indicible épouvante, des gouttes de sueur coulaient sur son front, et tous les muscles de son visage frissonnaient. La jeune fille se rapprocha avec un élan de compassion.

— Du courage ! cria-t-elle dans une explosion de tendresse. Priez celui qui peut tout, et il vous écoutera.

— Une prière ! répéta le mourant en jetant autour de lui un regard effaré, une prière !… je n’en sais plus !

— Eh bien ! ce sera moi qui la dirai, s’écria la jeune fille.

Et, se redressant sur ses genoux, elle commença à réciter lentement la sublime invocation qui résume toute la foi des cœurs simples : « Notre père qui êtes aux cieux ! » Jacques avait fait un effort pour rapprocher ses mains endolories, et, redevenu enfant, il répétait après la jeune fille la prière oubliée, tandis qu’Aloïsius, le front découvert et la tête inclinée, s’y associait d’intention.

Le dernier mot prononcé, Barmou, qui avait fermé les yeux pour se recueillir, les rouvrit lentement. Une sérénité inexprimable s’était répandue sur tous ses traits. Il tendit les mains vers sa filleule. — Tu as été entendue, dit-il d’un accent entrecoupé ; au repos qui s’est fait en moi, je reconnais que celui que tu as prié me pardonne. Ah ! il fallait ceci pour me dompter. Tant que je sentais la force de la vie, je ne m’inquiétais pas de la mort. À cette heure, il me semble que Dieu est là derrière un nuage. Les autres m’en parlaient ; toi, tu me l’as fait comprendre. Sois bénie pour ce que je te dois !

Puis, relevant les yeux vers Aloïsius : — Lui aussi a été bon pour