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ainsi ? Pourquoi les tenir dans ces tons neutres ? Pourquoi, même avec le secours d’une lorgnette, est-il si difficile de découvrir un regard dans tout ce long cortège ? Sans nuire à l’effet général, sans troubler ces silhouettes harmonieuses, le feu des âmes ne pouvait-il se laisser voir ? Il est vrai que la distance est grande entre le sol et ces peintures : dix ou douze mètres environ ! Raison de plus pour accuser un peu plus fortement les traits saillans, les traits qui parlent à l’esprit. Ce n’est qu’en montant dans les tribunes, dans les galeries portées sur ces hautes colonnes, qu’on pénètre complètement dans la pensée du peintre. À cette élévation, l’aspect est tout différent ; ce qui d’en bas semblait vague s’explique et s’accentue. Un modelé délicat distingue et caractérise toutes ces têtes : elles disent toutes quelque chose ; en un mot, M. Flandrin se montre là tout entier, habile à exprimer aussi bien qu’à composer, car il est peintre d’expression, et, malgré ses procédés d’école, il se rattache par ce côté à nos grands maîtres du XVIIe siècle. Mais ce n’est pas assez d’avoir ces qualités, il faut les faire voir. En se bornant à indiquer si finement l’expression de toutes ces têtes, M. Flandrin semble avoir par momens oublié que c’est du bas de cette nef que sa frise devait être vue.

Nous l’inviterions donc, dans sa prochaine campagne, à calculer plus hardiment ses effets, surtout si c’est encore à de telles hauteurs qu’il doit reléguer sa peinture. Le plus sûr serait d’éviter cette difficulté. Aussi faut-il souhaiter à M. Flandrin d’abord et avant tout un monument qui ne soit qu’à lui seul, un monument dont il gouverne la tête aussi bien que le corps, puis dans ce monument un champ pour sa peinture, non pas plus beau, plus étendu, mieux disposé que cette frise (il n’en trouverait, pas), mais ménagé à une hauteur moins grande, ou, ce qui revient au même, dans un vaisseau moins étroit. Supposez quelque largeur de plus à cette nef de Saint-Vincent-de-Paul, aussitôt tout se rectifie pour le peintre et pour le spectateur : l’un n’a plus à se préoccuper de l’angle aigu et insolite sous lequel il sera vu, l’autre peut voir et contempler sans risquer de se tordre le cou.

Nous n’insisterons pas sur ce point, ne voulant pas nous engager dans un procès d’architecture avec un de nos maîtres en cet art. Nous sommes loin d’ailleurs de porter sur son église un jugement rigoureux. Plût à Dieu que ce pauvre Paris ne vit bâtir que de tels monumens et n’eût pas de plus justes griefs contre ceux qui l’embellissent ! Dans cette église, la façade est peut-être la partie la moins heureuse. Ces deux tours sont un peu gauches, ce fronton est un peu banal, le tout ensemble manque de grandeur et d’harmonie. Mieux vaudrait qu’on entrât par le côté qu’on ne voit pas d’abord, par ce grand mur si sobrement orné qui termine carrément l’église du côté