Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/1019

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

car si quelque chose nous semble incontestable, c’est, après le savoir de M. Hittorff, son goût, nous dirions presque sa passion pour l’union de la peinture et de l’architecture. Il comprend mieux que personne combien l’entente intime et cordiale de ces deux arts les met en valeur l’un par l’autre. Donner large carrière au pinceau sera toujours la pensée première de tout ce qu’il construira. Aussi voudrions-nous qu’il construisît beaucoup, tant nous serions certain que la peinture y trouverait son compte. Que n’a-t-il, par exemple, bâti l’Hôtel-de-Ville, ou tout au moins ces grandes salles des fêtes inaugurées l’hiver dernier ! Quelle occasion perdue ! Comme il était facile dans ces immenses galeries de faire à la peinture sa juste part ! Croit-on que l’architecte, en s’opposant la loi de réserver ça et là quelques grands et beaux espaces à hauteur convenable, s’en serait mal trouvé ? C’est à lui-même avant tout qu’il eût rendu service. Au lieu de s’en tenir à ces banalités décoratives, qui, sans pitié pour le spectateur, se poursuivent de mètre en mètre toujours sur le même patron, il eût cherché des divisions, des repos, des motifs d’encadremens, des contrastes, des combinaisons variées. La gêne qu’il se fût donnée eût aiguisé son invention. Dans un tel monument, au cœur d’une telle cité, que de souvenirs à évoquer, que d’idées à répandre, que de moyens de peupler ces lambris ! Quand on a le pouvoir d’user de telles ressources, quand on peut si richement, si noblement nourrir et récréer l’esprit en même temps que les yeux, est-il possible qu’on s’amuse à dresser ce régiment maussade de muettes colonnes, et à promener sans fin sur ces murs et sur ces voûtes cette éternelle répétition de l’or rechampi de blanc, et du blanc bordé d’or !

Mais non, dira-t-on, l’architecte n’a point proscrit la peinture ; ne lui a-t-il pas donné place sur quelques dessus de portes et dans deux ou trois plafonds ? Ne l’a-t-il pas admise enfin à un poste d’honneur, dans la grande et principale galerie ? Soit ; mais à quel étage et en quelles conditions ! C’est au-dessus de la corniche, au-dessus des lustres, dans la courbe des voûtes, aussi haut que les yeux puissent atteindre ; c’est là que, d’arcade en arcade, la face d’un pendentif a été réservée au peintre assez hardi pour exposer ses œuvres à si haute distance, et se soumettre aux exigences de cette forme triangulaire vingt-huit fois répétée. Avait-on sérieusement dessein de loger là de la peinture, ou bien n’avait-on pas songé d’abord tout simplement à couvrir ces pendentifs de quelque décoration à la brosse, comme ces bocages de guinguette, qui dans cette même salle, du côté de la rue, tapissent le fond des arcades ? Ce qui semblerait indiquer que tels étaient les projets primitifs, c’est que pour couvrir de couleurs ces vingt-huit pendentifs et les vingt-huit pénétrations qui les séparent, en tout cinquante-six tableaux, dont la superficie