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de chemins de fer ou de rentes ; mais à quel prix obtient-on un pareil résultat ? On lève une sorte de contribution sur la fortune publique pour se créer artificiellement des débiteurs, pour amener des remises, pour conserver ou recouvrer quelques parcelles d’or et d’argent. En vérité, le succès ne vaut pas le sacrifice.

Après tout, le commerce de l’or et de l’argent n’est pas plus compressible que tout autre trafic. Les préoccupations qui agitent sur ce point les établissemens de banque me semblent être une réminiscence des temps où les gouvernemens faisaient des lois pour empêcher la sortie des métaux’ précieux. Nous avons besoin de blé, et nous n’avons pour le payer que notre or ou notre argent ; il faut bien consentir à retrancher de ces trésors accumulés les sommes que nous devons aux peuples plus fortunés qui nous envoient l’excédant de leur récolte. Au reste, le reflux des métaux précieux vers l’Occident ne se fera pas attendre. Déjà le change à Odessa tourne en faveur de l’Angleterre, et les mêmes symptômes se manifestent à Saint-Pétersbourg. Les nations qui ont reçu de l’or en échange de leurs blés viendront six mois, un an plus tard, échanger cet or contre nos vins, nos soieries, nos articles de goût et de mode. Les métaux précieux agiront comme levier de production et de consommation. En les répandant au dehors, nous ouvrons des marchés nouveaux pour notre industrie.

Si l’élévation de l’escompte n’est en ce moment ni nécessaire, ni utile à la circulation, en revanche cette mesure aurait pour le commerce et pour le travail les effets les plus funestes. Je ne parlerai pas de la dépréciation infaillible qui en résulterait pour toutes les valeurs de crédit ; mais comment oublier que nous approchons de la fin de l’année, de l’époque à laquelle les opérations du moyen et du petit commerce se liquident, et qui est la plus chargée de paiemens ? Cette liquidation sera peut-être laborieuse. Il n’y aurait ni prudence ni humanité à en aggraver les embarras. L’élévation du taux de l’escompte serait sans objet, si elle ne devait pas diminuer le nombre des emprunteurs et la somme des prêts. Or cette réduction opérée par la Banque aujourd’hui amènerait des catastrophes.

On comprend que le conseil de la banque se soit préoccupé de la diminution progressive et continue de ses réserves. À côté et au-dessus des intérêts commerciaux qu’il représenté se place l’intérêt de la circulation, dont il est le gardien. La Banque doit veiller avec un soin religieux au maintien de l’équilibre entre ses engagemens et ses ressources disponibles ; mais cet équilibre n’est ni compromis ni menacé. Sa réserve métallique égale encore, ou peu s’en faut, le revenu d’un empire. Elle représenta plus de 50 pour 100 de la circulation. C’est une base sur laquelle elle peut s’assurer, en se tenant, dans ses opérations, à une égale distance des illusions téméraires et de la peur.


LEON FAUCHER.