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triompher la paix et la modération dans cette question, grosse de conséquences. » Le triomphe de la paix et de la modération, c’est là en définitive le but de tout le monde, de tous les cabinets, — et le meilleur moyen de l’assurer, c’est encore l’action collective de l’Europe, seule capable de s’interposer avec autorité, de faire prévaloir une solution pacifique par le spectacle de son union. C’est une œuvre à laquelle ne saurait manquer le concours de M. de Mauteuffel pas plus que celui de l’Autriche. Au surplus, les cabinets paraissent avoir aujourd’hui le sentiment de cette situation, et nous ne serions pas éloignés, assure-t-on, de voir se rouvrir à Vienne des conférences nouvelles, où se rencontreraient la Russie et la Turquie pour traiter d’un arrangement sous l’influence collective des quatre grandes puissances, de nouveau réunies pour concourir à la paix, ou pour l’imposer au besoin cette fois. Peut-être d’ailleurs les conditions actuelles ne sont-elles pas entièrement défavorables. La Turquie et la Russie se sont battues, il est vrai ; elles en sont venues aux mains, assez pour avoir leur honneur intact, pour pouvoir figurer sur un pied d’égalité dans des négociations, mais pas assez, jusqu’ici, pour qu’il y ait des revers sérieux à venger, des plaies trop vives d’amour-propre à panser avec la victoire. L’empereur Nicolas lui-même a une heure décisive à choisir, celle où la guerre qu’il soutient perdrait le caractère d’une guerre avec la Turquie pour prendre celui d’une lutte contre l’esprit occidental, ainsi que le disent parfois certains publicistes russes. C’est là en effet le sens d’une brochure récente, écrite avec talent : Quelques mots par un chrétien orthodoxe sur les Communions occidentales. Aux yeux de l’auteur, le monde occidental périt, le catholicisme se débat dans son impuissance et son épuisement, le protestantisme ne va guère mieux ; seule, la religion orthodoxe peut sauver et rajeunir le monde. Cela peut se dire sans doute dans des pages de philosophie religieuse, sous le sceau d’une foi ardente ; mais cela ne saurait trouver place dans la politique. S’il en devait être ainsi. oh ! alors, évidemment, ce serait une lutte gigantesque. S’il s’agit simplement d’un différend, quelque grave qu’il soit, à régler avec la Turquie, — non, l’empereur Nicolas lui-même, en souverain intelligent, ne saurait en faire le prétexte de la continuation d’une guerre qui, en finissant par se communiquer à l’Europe, aurait pour premier effet de rallumer toutes les conflagrations éteintes.

La question d’Orient semble devenir une de ces affaires difficiles, périlleuses, de solution toujours incertaine, avec lesquelles il faut bien s’arranger pour vivre, tout en cherchant de son mieux à interroger le secret des éventualités futures et en pesant les chances que chaque jour amène. Voici déjà huit mois et plus qu’elle dure, depuis l’apparition fameuse du prince Menchikof à Constantinople. Combien de fois ne s’est-on pas cru près du dénoûment ! Ce dénoûment n’est point venu et peut-être ne devait-il point venir, parce qu’il n’est pas dans la nature de semblables questions de pouvoir être si aisément et si subitement tranchées, même par la guerre. Qui pourrait pressentir encore en ce moment le jour où la crise orientale s’apaisera, la manière dont elle sera résolue, les diverses phases nouvelles par lesquelles il faudra qu’elle passe avant d’aboutir à une composition qui ne sera elle-même qu’un attermoiement, une sorte de pierre d’attente de l’avenir ? Et cependant, même sous l’empire de cette obsession universelle, il y a toujours un