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un des derniers romans de Mlle Frederika Bremer, le Foyer domestique, qu’une Française, Mlle Du Puget, vient de naturaliser dans notre langue par la traduction. Mlle Bremer est une Suédoise célèbre qui a fait les Voisins, les Filles du président, et qui écrivait récemment encore des lettres sur l’Amérique. Au milieu des peintures outrées et des descriptions de mondes impossibles ou excentriques, le charme du roman dont nous parlons, c’est d’être nouveau par la simplicité, par le doux et pénétrant parfum qui s’en dégage. Peut-être manque-t-il à ces pages un peu de la concentration et de la rapidité de l’art français ; la grâce des détails le fait oublier. Il y a sans doute dans le Foyer domestique le côté purement suédois, mais il y a aussi ce qui est fait pour toucher tous les esprits et tous les cœurs, — signe infaillible des œuvres qui ont quelque droit à entrer dans la littérature universelle. On a lu beaucoup les romans de Mlle Bremer en Angleterre ; on devrait les lire en France, ne fût-ce que pour apprendre comment les plus simples tableaux peuvent intéresser. Le succès des romans de Mlle Bremer en Angleterre s’explique d’ailleurs. La touche de l’auteur du Foyer domestique a quelque chose de la manière anglaise, elle allie l’instinct de la réalité à une certaine poésie. Mlle Bremer fait vivre tous ses personnages dans leur originalité, dans leurs vraies et justes proportions : le sénéchal Frank, rude et forte nature ; sa femme Élise, qui a bien, elle aussi, son heure où la passion est prête à parler ; l’assesseur Jérémie Munter, ce bonhomme qui se cache pour aimer et faire le bien ; Jacobi, le candidat en philosophie et le précepteur des enfans, et tous les enfans eux-mêmes, depuis Éva et Petrea jusqu’à Henri, qui a le nom de « premier né » dans la famille, et que la mère appelle « mon enfant d’été. » Ce n’est pas que le foyer n’ait ses épreuves et ses tragédies. Dans le foyer le plus calme, il y a la place vide laissée par les absens et occupée par la douleur. Dans l’âme la plus pure, il y a quelqu’une de ces visites mystérieuses de la passion ; mais cette passion même, sans s’avilir, se résout en quelque sentiment doux et généreux. Puis il y a la destinée des enfans qui grandissent. Au bout de la vie du père de famille, quand ceux qui sont nés à peine seront des hommes, qui sera fidèle à l’appel ? qui fera défaut dans le loyer ? à quelle traverse aura-t-on échappé ? C’est là ce qui fait l’intérêt du livre de Mlle Bremer, œuvre saine et charmante, poème de la vie domestique suédoise où se font reconnaître quelques-unes des grâces de la vie intime dans toutes les contrées.

La réalité des choses contemporaines nous ramène à un ordre de faits moins gracieux que ces délicats tableaux d’intérieur. Elle nous remet en présence des incidens publics qui caractérisent chaque pays en Europe et révèlent ses tendances et ses mouvemens particuliers. Lévénement le plus grave à coup sûr pour la Suisse aujourd’hui, c’est la chute de M. James Fazy à Genève par suite des élections qui viennent de renouveler le conseil d’état de ce canton. Depuis sept ans déjà, M. Fazy était le chef, le dictateur de la république genevoise. Il avait été le principal auteur d’un de ces mouvemens révolutionnaires qui, dès 1846, préludaient en Suisse à la guerre du Sonderbund, et c’est ainsi qu’il jetait le fondement d’un pouvoir resté debout jusqu’à aujourd’hui. Du reste, M. Fazy a gouverné Genève avec tout le despotisme radical, et même souvent en se créant une sorte d’indépendance vis-à-vis des autorités fédérales. Pendant longtemps, M. Fazy a tenu groupées