Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/1052

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le bien deviennent de plus en plus rares C’est une de ces nobles vies qui vient de s’éteindre en Savoie, dans ce petit pays où peut-être, pendant trente-trois ans d’honorable paix, le plus de bien a été fait, le plus de bonheur moral et matériel donné aux peuples. Le chevalier César de Saluées fut le type le plus parfait de la vertu sans tâche dans une activité constante et sans faste. Cette modestie, cet incessant labeur dans le bien n’étaient point forcés pour lui : outre les dons de l’intelligence, il avait tous les titres que donne la fortune, il descendait d’une race souveraine, dont le berceau se cache dans la nuit héroïque des âges féodaux, et qui pendant six siècles a régné sur les belles vallées qui s’étendent au levant des Alpes. Par les vicissitudes de l’histoire, au milieu du XVIe siècle, cette race glorieuse dans la paix et dans la guerre cessa de régner, et cet événement faillit, au temps d’Henri IV, allumer une guerre européenne. Depuis lors, illustre aux premiers rangs de la noblesse du pays, auxquels ses anciens états étaient incorporés, — de cette noblesse piémontaise-savoyarde qui, mieux qu’aucune autre peut-être, a jusqu’à nos jours accompli sa mission sociale, — la race des Saluces a brillé par de continuels services.

Le père de M. César de Saluces, le comte Ange de Saluces, militaire distingué, grand-maître de l’artillerie, ne cessa de servir la monarchie de Savoie que lorsqu’en 1799 elle cessa d’exister. Savant remarquable, il fut, dans sa retraite, le fondateur de cette Académie des sciences de Turin, où brilla La Grange, et à qui l’illustration scientifique n’a pas manqué. Le comte de Saluces eut cinq fils et une fille. Sa fille, Deodata de Saluces, comtesse de Roero-Rovel, morte en 1842, tint une place distinguée parmi les poètes de sa pairie. Bien qu’elle ait toujours renfermé sa noble vie dans le cercle des affections et des devoirs domestiques, son inspiration n’en souffrit pas. Dans son beau poème d’Ipazia, le talent vraiment viril de la comtesse, Deodata a mêlé à une fable pleine d’intérêt l’analyse et l’appréciation brillantes des problèmes et des systèmes les plus subtils et les plus élevés des écoles d’Alexandrie. Des cinq fils du comte Ange, un mourut très jeune encore les armes à la main pour la défense de son pays ; les quatre autres atteignirent la vieillesse ; tous parvinrent aux plus hauts grades militaires, aux plus grands emplois de l’état. L’aîné, le comte Alexandre, pendant un certain temps ministre de la guerre, et à qui l’armée sarde dut beaucoup, fut un officier général d’un grand mérite, un organisateur habile, et dans son Histoire militaire du Piémont, il a montré un remarquable talent d’écrivain. En dehors des spécialités diverses de leurs emplois, l’influence toujours sage et bienfaisante de MM. de Saluces se fit longtemps sentir dans les affaires générales de la monarchie. La plus complète, la plus tendre union, un parfait accord d’intentions et de vues régnaient entre ces quatre frères. Ils vivaient, tous quatre depuis peu retirés des affaires, dans le repos noblement mérité d’une vieillesse honorée, lorsque la mort vint frapper parmi eux ses coups, qui devaient se succéder rapidement en suivant l’ordre des âges. En 1851 mourut le général comte Alexandre ; en 1852, le général chevalier Annibal, et maintenant vient de succomber le lieutenant-général, devenu par la mort de ses deux aînés comte César de Saluces. De cette branche d’une si grande maison, il ne reste plus que le général chevalier Robert, en qui elle s’éteindra.