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nette et précise comme la raison française, mais dont la tradition savante a été trop longtemps interrompue par l’engouement pour les rêveries allemandes, fit à laquelle il faudra revenir, si l’on revient sérieusement aux études antiques.

Qu’est-ce donc d’abord que Prométhée, selon Eschyle et la tradition reçue ? Fils de Japet, père de Deucalion, c’est-à-dire de toute la famille hellénique, Prométhée est évidemment la figure, non d’une idée, mais d’une race. Ses actes ne sont pas allégoriques, mais politiques. C’est au nom et à la tête de cette race qu’il lutte contre Jupiter, qu’il négocie, qu’il ruse, qu’il cherche des alliés, qu’il est vaincu, qu’il se révolte de nouveau. Il est donc l’autorité dans cette race. Il se dit dieu ; serait-il l’autorité sacerdotale ? Ce qui semble le confirmer, c’est d’abord son nom, évidemment qualificatif : Prométhée, le prévoyant, le prophète, c’est ensuite qu’il se distingue lui-même des autres corps de la nation : il a consulté, sur la conduite à tenir en présence des présentions de Jupiter, Thémis, la Justice, ou le conseil des magistrats, et Ghê, la Terre, le pays, comme nous dirions aujourd’hui, c’est-à-dire l’assemblée du peuple, mais les Titans, le corps des nobles, des guerriers, n’ont voulu rien entendre, et ont repoussé toute transaction. Et dans ce passage fameux où il raconte les services qu’il a rendus au peuple et à la civilisation, on ne saurait méconnaître l’action d’un sacerdoce, car dans toute l’histoire, ancienne et moderne, la civilisation des tribus sauvages est œuvre sacerdotale ; ce fait est tellement universel, qu’on peut le poser comme loi dans la destinée humaine. — De quels maux, dit-il, de quelle ignorance n’a-t-il pas retiré les hommes ! Il n’accusera point leur ingratitude, mais il veut raconter combien il les aimait ; car avant lui, voyant, ils voyaient en vain ; entendant, ils n’entendaient point ; semblables aux ombres d’un rêve, leur esprit confondait tout dans une lueur vague ; ils ne savaient ni se construire des maisons au soleil, ni travailler le bois ; ils habitaient comme les fourmis dans de ténébreuses cavernes sous terre ; ils ne savaient point prévoir le retour des saisons, et travaillaient sans intelligence, jusqu’à ce qu’il leur eût appris à définir l’année par le retour des astres. C’est lui qui leur a enseigné les nombres, chef-d’œuvre des inventions, les combinaisons des lettres, c’est-à-dire l’écriture, la mémoire, mère des sciences, ouvrière de toutes choses ; il leur a enseigné les remèdes bienfaisans, et la religion, les présages, les augures, les signes qui manifestent la volonté des dieux dans les sacrifices, les utilités cachées sous la terre, l’airain, le fer, l’argent, l’or. Enfin, pour tout résumer, dit-il, en une courte parole, tous les arts sont, pour les mortels, sortis de Prométhée. On ne peut, ce semble, décrire plus clairement l’introduction par des prêtres missionnaires, — peut-être