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remis son épée au général Scott, lui offrit une cigarette en lui disant : « Fumez-vous? » Du reste, l’habitude de fumer établit dans les pays espagnols, entre tous ceux qui s’y livrent, la familiarité quelquefois la plus singulière. J’ai vu un galérien, qui travaillait, la chaîne au pied, sur la grande place de Mexico, s’approcher d’un soldat en faction à la porte du président, et allumer son cigare à celui de la sentinelle. On se consolait des revers en les transformant en victoires. J’ai lu un rapport officiel de Santa-Anna où il parle du triomphe de Buena-Vista; ce triomphe est une victoire des Américains. Les soldats n’ont pas manqué de bravoure. Les Indiens se sont laissé tuer sans rien dire, avec beaucoup de sang-froid. La garde nationale de Mexico s’est très bien battue. Son commandant, qui était un tailleur nommé Banderas, a été héroïque. Blessé la veille, il répondit à son fils, qui voulait l’empêcher de remonter à cheval : « Il s’agit aujourd’hui de sauver son pays ou de mourir. » Et il mourut. Malheureusement les officiers des troupes régulières n’ont pas tous imité ce tailleur, et la défense a été très mal conduite.

Les Américains n’étaient pourtant pas des guerriers consommés. Ici les officiers valaient mieux que les soldats; mais soldats et officiers ont montré constamment la plus aventureuse intrépidité, s’élançant à travers des déserts et allant devant eux en dépit de tous les obstacles. Avant d’arriver à Mexico, ils imaginèrent de s’aventurer dans le Pedrigal. On appelle ainsi un immense champ de lave d’un aspect singulier et désolé qui s’étend jusqu’à l’Océan Pacifique; ils s’y égarèrent plusieurs jours et en sortirent mourans de soif, de faim, de fatigue, pour venir prendre Chapoultépec et Mexico.

Nous sommes allés faire notre pèlerinage à l’église de Notre-Dame-de-Guadalupe, qui est la patronne des Indiens, et qu’a adoptée la république mexicaine. Cette église s’élève sur une colline voisine de Mexico, où fut jadis le temple d’une déesse aztèque. La légende qui se rapporte à sa fondation est assez gracieuse. Un pauvre peon indien s’était endormi en ce lieu; pendant son sommeil, la Vierge lui apparut et lui ordonna d’aller dire à l’évêque de Mexico de bâtir là une église. L’évêque ne voulut pas recevoir l’Indien; celui-ci revint le lendemain. L’évêque demanda une preuve de la vérité du récit. La Vierge apparut de nouveau à l’Indien et lui ordonna cette fois d’aller sur la colline stérile y cueillir des roses; il en trouva en effet qui avaient crû miraculeusement parmi les rochers, et les rapporta à la Vierge, qui les jeta avec son portrait dans le sarapé du pauvre homme. L’évêque crut enfin et fit construire l’église.

Cette légende, toute populaire, convient à l’origine du culte de cette Vierge de Guadalupe, l’une des madones pour lesquelles je me sens le plus de dévotion, car elle est la protectrice d’une race