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III. — LES ANIMAUX DANS LES ALLÉGORIES MYSTIQUES ET MORALES.

Dans les récits des écrivains hagiographiques et des poètes, nous venons de le voir, les animaux réels ou fabuleux sont mis en scène et agissent comme des personnages dans un drame, mais, si important que soit leur rôle, ils n’y paraissent jamais que d’une manière épisodique. Nous allons maintenant, dans un genre de composition tout différent par la forme, mais au fond très identique par la pensée, les retrouver décrits et pour ainsi dire analysés et expliqués, pour adopter les termes consacrés par les théologiens au point de vue historique, allégorique, tropologique et anagogique.

Cette explication, nous devons en convenir tout d’abord, ressemble singulièrement à une énigme ; mais c’est ainsi que le moyen âge expliquait toute chose, car il considérait le monde comme un vaste symbole, et au lieu de s’en tenir aux réalités apparentes, il cherchait sans cesse à s’élever, par la méditation, de la lettre à l’esprit, du fait à la signification, de l’objet matériel à l’enseignement moral. De là cette forme étrange, cet ascétisme ténébreux des singuliers traités de zoologie que le moyen âge nous a légués sous le nom de Bestiaires, œuvres bizarres, où les animaux sont tout à la fois décrits et défigurés avec la plus scrupuleuse attention, et dans lesquelles se confondent les fables les plus absurdes avec les préceptes les plus sages, les traits satiriques les plus vifs et les plus ferventes aspirations du mysticisme. C’est à cet ordre de productions qu’appartiennent le commentaire sur le Physiologus, attribué à saint Épiphane, le poème de saint Avit sur la création, poème composé dans les dernières années du Ve siècle, le poème latin sur les animaux publié sous le nom d’Hildebert, évoque du Mans, et les Institutions monastiques sur les bêtes (Institutiones monasticoe de bestiis), de Hugues de Saint-Victor. Composés par des théologiens ou des moines, les ouvrages dont nous venons de parler s’adressaient exclusivement à ceux qui se livraient à l’étude de l’exégèse religieuse, à ceux qui, suivant les paroles des livres saints, s’absorbaient dans la contemplation des êtres et de la nature pour découvrir Dieu dans ses œuvres et chercher dans ce miracle permanent du monde de grands exemples et de salutaires leçons.

Longtemps renfermés dans les cloîtres, les traités de zoologie morale et religieuse se popularisèrent au moment même où la littérature commençait à se séculariser par l’usage de la langue vulgaire. Les XIIe et XIIIe siècles nous ont légué quatre Bestiaires qui ont pour auteurs Pierre le Picard, le, trouvère Philippe de Than, le clerc Guillaume, et Richard de Fournival, fils du médecin de Philippe-Auguste