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on peut le croire en lisant ses œuvres, n’avait point estouppé ses oreilles en entendant le chant des sirènes. Comme les troubadours et les chevaliers, il s’était engagé dans le servage d’amour ; mais au lieu de rimer des tensons pour attendrir la dame de ses pensées, il composa un Bestiaire en lui proposant, comme toujours, les animaux pour modèles. Cependant Richard sait que les filles d’Eve sont nées, comme leur mère, pour la perte du genre humain ; il sait qu’elles sont perfides, cruelles, qu’elles se réjouissent des souffrances qu’elles ont causées ; il ne leur épargne pas les invectives, et certes si l’amour est éternel, il n’en est pas de même de son vocabulaire. Depuis trois siècles environ, dans la littérature classique on compare invariablement la femme à une fleur, à une perle, à un astre ; Richard de Fourniral la compare à un crocodile, à un corbeau, à un loup. Encore donne-t-il la préférence au crocodile, car ce monstre sensible, comme nous l’avons vu, mange l’homme en le pleurant et se repent toute sa vie de l’avoir mangé, tandis que la femme ne fait que rire, de ceux dont elle dévore le cœur et s’en tient rarement à une première victime. « Ne vous émerveillez pas, dit maître Richard, si je compare la femme à un corbeau, car la similitude est frappante. Que fait le corbeau quand il s’abat sur un cadavre ? Il commence par lui ronger les yeux et lui ronge ensuite la cervelle. La femme ne prend-elle pas de même à ses amans la cervelle et les yeux ? » Dans la seconde partie du livre de maître Richard, intitulée Response du Bestiaire, la donnée change complètement. Chaque comparaison est prise dans un sens contraire à celui que l’auteur lui avait donné d’abord, et il en résulte que l’exemple des bêtes, bien loin d’inviter les femmes à se laisser attendrir, doit au contraire les fortifier dans leur résistance et leur vertu.

Ainsi dans les légendes pieuses, dans la poésie et les traités zoologiques dont nous venons de parler, les animaux se montrent toujours comme nos maîtres en fait de moralité et de bons sentimens, et le moyen âge, dans son ignorance et sa crédulité, poursuit et atteint souvent un but plus élevé que celui de la science. En montrant comme fin suprême de l’existence de tous les êtres la pratique des lois éternelles de la justice, de la modération, de la charité, il fait de la création tout entière une école de sagesse, et des mystérieuses harmonies du monde matériel l’exégèse vivante des vérités divines proclamées dans L’Evangile. Nous allons voir enfin ces données supérieures recevoir dans les monumens de l’architecture une consécration nouvelle, et le portail des églises se dérouter comme le commentaire illustré du Physiologus et des Bestiaires, comme l’exégèse monumentale de l’enseignement écrit ; car, ainsi que l’a dit l’auteur des Institutions monastiques sur les Bêtes, « la peinture et la