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et du moine. À Amiens, parmi les statues de la cathédrale, il prêche, affublé de la coule monacale, un auditoire de poules qui l’écoutent le bec ouvert. Celle qu’il porte dans son capuchon semble indiquer qu’il en a déjà séduit plusieurs par son éloquence. Dans une église du comté de Somerset, on le voit pendu par une oie avec deux renardeaux qui glapissent au pied du gibet. Les artistes ne se contentent pas d’en faire un orateur, ils l’élèvent aux plus hautes dignités, en lui donnant la mitre et la crosse, comme les trouvères qui l’avaient élevé, à la cour du lion, au rang de premier ministre. Quant au clergé, pour qui l’art, ainsi que nous l’avons dit, fut toujours distinct et séparé du dogme, il ne se scandalisait nullement de ces tableaux bizarres, et il en tolérait même la mise en scène dans les cérémonies pieuses, comme on le voit par la procession qui se célébrait à Paris dans le cours du XIIIe siècle. Dans cette fête célèbre, un homme habillé de peaux de renard, couvert d’une espèce de surplis, se montrait au milieu des ecclésiastiques, la mitre et la tiare sur la tête. Sur le chemin qu’il suivait, on plaçait de la volaille, et de temps en temps il se jetait sur les poules à la grande satisfaction des assistans.

Ainsi, en comparant les monumens sculptés avec les monumens écrits, on trouve entre eux un rapport infime. Le Bestiaire divin du clerc Guillaume, l’Image du monde d’Omons, le Miroir de la nature de Vincent de Béarnais, et les traités du même genre que nous avons mentionnés dans la première partie de cette étude, sont, avec les livres saints, les véritables et les seuls guides de l’archéologue qui veut comprendre dans tous leurs détails les grands monumens de l’art du moyen âge. Les animaux que nous y voyons figurer correspondent exactement à ceux que nous ont fait connaître les récits hagiographiques, les poèmes religieux et les Bestiaires. Nous allons les suivre maintenant dans la littérature profane. Après les avoir vus les amis des saints, nous allons les voir les amis et les compagnons des chevaliers. Ils vont donner, dans l’épopée satirique, des leçons de malice et de bon sens, comme ils ont donné dans l’épopée religieuse des leçons de dévouement et de vertu ; enfin, par une transformation nouvelle, ils serviront, dans le blason, d’emblème à la vanité, comme ils servaient, dans l’architecture, de symbole aux plus hautes abstractions du mysticisme.


CHARLES LOUANDRE.