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On leur fournit gratuitement le charbon et l’huile. Avant 1848, l’équipage couchait dans les manufactures : cet usage avait frayé les voies, sous le rapport de la durée du travail, à de fâcheux abus auxquels une loi spéciale a mis fin. Il vaut infiniment mieux, surtout dans une industrie marchant toute l’année comme celle-ci, que les ouvriers puissent trouver le soir, après le travail, un asile rafraîchissant sous le toit domestique. Ces réformes modifient peu à peu la composition du personnel des savonneries : tandis qu’on n’y rencontrait guère autrefois que des travailleurs descendus des montagnes, on y voit maintenant des hommes recrutés dans le pays même. La besogne des ouvriers qui donnent des veines au savon bleu pâle, et qu’on appelle madreurs, est la seule qui soit véritablement pénible. Debout sur une planche horizontalement posée au-dessus d’immenses cuves en ébullition, à demi nus, enveloppés de vapeurs, les madreurs doivent remuer incessamment, à l’aide d’un long bâton garni de fer, une lave épaisse et pesante, pour empêcher la perche de glisser entre leurs mains humides, ils portent des gants de toile qu’ils plongent à tout moment dans des sacs de plâtre moulu. Ces ouvriers gagnent 4 francs par jour, chiffre que nul autre n’atteint dans ces usines, à l’exception pourtant des coupeurs chargés de diviser en morceaux les pains de savon, et qui ont besoin d’un coup d’œil exercé et sûr[1].

De la savonnerie dépend immédiatement le sort des ouvriers de la soude factice et de ceux des huiles de graines oléagineuses. Les premiers sontl disséminés dans une vingtaine d’établissemens situés aux environs de la ville, et dont, les produits montent à 6 ou 8 millions de francs. La belle découverte qui a fait du sel marin, combiné avec l’acide sulfurique, la base de la soude, artificielle, et qui date d’environ soixante ans, est due, comme on sait, à un Français, le chirurgien Leblanc, dont le nom demeure inscrit désormais dans nos fastes industriels à côté de celui des Denis Papin, des Berthollet, des Philippe de Girard. Avant la découverte du chirurgien Leblanc, on tirait d’Espagne la plus grande partie de la soude naturelle employée dans les arts[2].

Les établissemens où les ouvriers triturent les graines oléagineuses absorbent le chargement annuel de 4 ou 500 navires frétés pour le transport de ces matières, et fournissent en moyenne pour 20 millions de produit. Les huileries marseillaises sont montées sur un très

  1. Ces derniers, quand ils seul fort habiles, touchent jusqu’à 4 fr. 50 cent.
  2. Disons, pour mieux faire comprendre l’importance de la découverte de Leblanc, que les fabriques de soude de Marseille produisent annuellement 250,000 quintaux métriques de soude, au moins autant de sel de soude, et environ 5,000 barriques de sulfate de soude ; l’acide sulfurique employé dans leurs opérations nécessite 8,000 tonneaux de soude de Sicile.