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sait que l’école de la restauration aimait à se désigner sous ce dernier nom. L’Espagne et l’Allemagne n’étaient pas non plus oubliées, mais n’occupaient que des rameaux secondaires. Calderon et Lope de Vega, Goethe et Schiller étaient cités et appelés en témoignage, mais n’avaient que le rang de petits prophètes.

Nous pouvons aujourd’hui parler sans amertume et sans injustice, sans aveuglement et sans partialité, de cette époque déjà si loin de nous. A l’égard de ces tentatives, le dédain serait une preuve d’ineptie. Si nous comparons en effet les espérances qui animaient les poètes de cette période à l’anarchie intellectuelle du temps présent, la déférence est pour nous un devoir. C’était une période laborieuse, où l’amour de la gloire tenait plus de place que l’industrie : aujourd’hui l’industrie règne à peu près en souveraine; à peine quelques rares esprits essaient-ils encore de lutter au nom des idées préconisées sous la restauration comme les vrais principes de toute poésie. Ce qu’il m’importe de constater, c’est que la cause du drame, qui devait anéantir à jamais la tragédie et la comédie, est abandonnée par le public aussi bien que par les écrivains. Entendons-nous : je ne veux pas dire que l’alliance du rire et des larmes soit déclarée chimérique; je tiens seulement à rappeler que cette alliance n’est plus considérée comme nécessaire. Qu’il se rencontre aujourd’hui un homme capable de créer des types aussi profonds qu’Hamlet, aussi jeunes que Roméo, aussi émouvans que le roi Lear, et la foule ne manquera pas d’applaudir; mais dans l’opinion des lettrés, dans l’opinion de la multitude, Shakspeare n’exclut ni Corneille, ni Molière, ni Sophocle, ni Aristophane. Sur les débris du drame, improvisé pour le plaisir des yeux, infidèle aux promesses de la nouvelle école, puisqu’il ne s’adressait ni au cœur comme Roméo, ni à la pensée comme Hamlet, la tragédie et la comédie sont demeurées debout. Cependant ces deux formes de la pensée poétique n’ont pas échappé à l’action du temps. Si la tragédie et la comédie veulent garder la faveur publique, il faut qu’elles se résignent à tenter des voies nouvelles. Que le ridicule soit offert à nos yeux dans tout son éclat, que les vices et les infirmités de notre nature égaient la foule, rien de mieux; que la peinture des passions tire des larmes de ses yeux, rien de plus légitime. Toutefois il faut que la tragédie consente à nous montrer les plus illustres personnages de l’histoire sous un aspect plus familier que les poètes français du XVIIe siècle; il faut que, sans essayer un compromis impossible entre Sophocle et Shakspeare, elle se souvienne à la fois d’Antigone et de Cordelia, de Gertrude et de Clytemnestre. C’est à cette condition seulement qu’elle peut espérer de captiver l’attention et la sympathie de la foule. Si elle s’obstinait dans les traditions du siècle de Louis XIV, si elle continuait à refaire une Grèce, une Italie