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Un premier essai avait eu lieu à Marseille vers le commencement de ce siècle ; les esprits méridionaux étant portés à l’imitation par cette vivacité d’imagination qui se trouve jointe en eux à tant d’indolence, cet exemple eut bientôt des imitateurs. L’élan donné était si fort, qu’en aucune autre ville de France on n’a vu s’opérer, durant le dernier demi-siècle, en matière d’institutions d’assurances mutuelles contre les éventualités de la maladie, un mouvement plus remarquable qu’à Marseille. Au commencement de l’année 1853, 138 sociétés de secours, comprenant environ 11,000 individus, y étaient en plein exercice. Des associations aussi multipliées ne sauraient, il est vrai, renfermer chacune un grand nombre de membres ; il n’y en a que 7 qui en comptent plus de 100. Dans deux ou trois, ce chiffre descend jusqu’à 10, le plus souvent il flotte entre 40 et 80. Quelques-unes seulement sont particulières à tel ou tel corps d’état ; la plupart reçoivent des individus de diverses professions. Presque tous les ouvriers de Marseille font partie d’une de ces compagnies. Il se présente ici une singulière similitude entre cette ville, assise sous le ciel brillant et chaud du midi, et une cité des extrémités de la France septentrionale où la population est vouée à la pratique des industries textiles, si différentes des fabrications provençales : je veux parler de Lille. Là comme à Marseille, à côté du besoin de se réunir, on rencontre chez les ouvriers cet esprit d’éparpillement qui, en multipliant trop les groupes, énerve un peu la puissance de l’association. De plus, dans les deux villes, les institutions mutuelles, à part une ou deux exceptions, sont placées sous le patronage d’un saint et portent une profonde empreinte religieuse. Seulement en Provence on attache encore plus de prix que dans la Flandre aux signes extérieurs. Il est facile de s’apercevoir aussi que l’esprit de corporation est moins ancien dans le midi que dans le nord. Moins expérimenté, il est plus pétulant et plus minutieux ; il s’entoure de restrictions et de pénalités sévères ; il se complaît dans l’épanouissement d’une hiérarchie souvent excessive.

Tous ces caractères existent au plus haut degré dans une des associations marseillaises qui efface toutes les autres par le nombre de ses membres et l’étendue de ses ressources. Bien qu’elle n’appartienne pas au domaine de l’industrie proprement dite, elle peut seule nous initier complètement aux mystères et aux caprices de l’assistance mutuelle parmi les ouvriers provençaux. J’entends parler de la société des portefaix, qui comptait, d’après des relevés officiels recueillis à la fin de 1852, un effectif de 2,195 membres. Placée sous le triple patronage de saint Pierre, de saint Paul et de Notre-Dame-de-Grâce, elle a été organisée sur ses bases actuelles par un acte de 1816, révisé en 1849 sans modifications essentielles. Les dispositions