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nous avons vu aussi que ces villes, autrefois centres d’agitation, devenaient de plus en plus des foyers de travail et d’instruction. La cause de la civilisation et du progrès est donc en définitive triomphante ; mais il importe qu’en s’appliquant à propager la culture intellectuelle, on ne néglige pas non plus l’instruction religieuse et morale, la seule qui garantisse pleinement l’ordre et le repos des régions où prospère depuis quelques années l’industrie française.

Quant à la Provence en particulier, elle possède dans la spécialité de son domaine industriel quelques garanties particulières. Nulle part, les industries locales ne paraissent avoir une base plus solide.

Tantôt les matières premières mises en œuvre dans les fabriques sont produites sur les lieux mêmes, tantôt elles sont tellement encombrantes, qu’elles ne pourraient supporter les frais de transport sur un autre point du territoire. L’importante cité marseillaise, où abondent tant d’élémens de prospérité, se trouve en outre, comme lieu d’arrivage, admirablement placée pour faire subir les manipulations préliminaires aux matières brutes venant du dehors et destinées à nos fabriques. Seulement ce serait, à notre avis, une erreur funeste que de sortir de cette arène spéciale et de prétendre acclimater ici, par des moyens factices et comme en une serre chaude, des productions d’une nature plus manufacturière. Que la Provence, que Marseille prennent aux pays du nord, à la Flandre et à l’Alsace, leurs procédés mécaniques, rien de mieux, pourvu qu’elles ne songent pas en même temps à leur disputer le patrimoine des industries textiles. Vainement on a dit que Marseille avait l’avantage de recevoir de première main et à moindres frais les laines et les cotons, vainement on a fait valoir que le gigantesque ouvrage qui conduit les eaux de la Durance dans cette ville, en créant des forces hydrauliques considérables, est venu faciliter l’essor industriel de son territoire[1]. Jamais le climat des rivages méditerranéens ne conviendra aux fabriques de tissus qui assurent la prospérité de Lille, de Rouen, de Reims et de Mulhouse. Où prendrait-on d’ailleurs un personnel approprié aux besoins de pareils ateliers, lorsqu’on est obligé déjà, pour tous les travaux un peu rudes, de recourir à la population des montagnes ? Chaque contrée en France a son rôle, et concourt sous une certaine forme à l’œuvre de la civilisation générale. La Provence n’a point à s’écarter de la voie industrielle qu’elle s’est ouverte : il doit suffire à son ambition de l’élargir et de la féconder.


A. AUDIGANNE.

  1. On sait que ce canal, dont la construction fait honneur à la science moderne, a près de 156 kilomètres de longueur, et traverse 20 kilomètres de souterrains et de nombreux aqueducs, dont l’un, celui de Roquefavour, étonne surtout par sa hardiesse.