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avoir été faites ; et, si calme au premier abord que soit l’exécution, si réservés que se montrent l’expression et le style, le tout a je ne sais quoi de pénétrant et d’agité qui vibre comme l’accent de la passion, comme le cri sorti du cœur.

Le pape Eugène IV, qui, lors du concile tenu à Florence, s’était arrêté deux jours au couvent de San-Marco, voulût que le Vatican s’enrichit des merveilles du pinceau qu’il avait admiré, et il appela à Rome fra Angelico en le chargeant de décorer de fresques sa chapelle particulière. L’artiste quitta aussitôt ces murs qu’il avait illustrés et que, cinquante ans plus tard, fra Bartolommeo acheva de consacrer par de nouveaux chefs-d’œuvre ; il dit adieu à saint Antonio, à ses frères qu’il ne devait plus revoir, et se rendit aux ordres du souverain pontife. À peine arrivé à Rome, il se mit au travail, et afin d’en abréger la durée ; il employa pour la première fois le secours d’une main étrangère. L’habileté de la sienne n’avait pas faibli cependant ; mais il fallait complaire aux désirs impatiens d’Eugène IV, pressé de jouir d’une œuvre dont il ne lui fut pas donné d’ailleurs de voir l’achèvement. Ce fut donc avec l’aide de son élève Benozzo Gozzoli que fra Angelico peignit cette suite de sujets tirés de la vie de saint Laurent et de la vie de saint Étienne qui ornent la chapelle dite de Nicolas V, parce qu’elle ne fut terminée que sous le pontificat de celui-ci.

Cette chapelle est voisine des fameuses stanze où Raphaël apparaît dans l’éclat de sa puissance et de sa gloire, et que tout voyageur s’empresse de visiter à l’exclusion de ce qui les entoure. Il n’est pas juste pourtant que ces peintures du plus célèbre des maîtres en fassent négliger d’autres plus modestes, mais dignes aussi d’attention et d’étude. D’ailleurs sacrifier absolument fra Angelico à Raphaël, c’est se montrer plus dédaigneux que Raphaël lui-même, puisqu’il lui arriva plus d’une fois d’emprunter des inspirations au peintre de San-Marco, emprunts soigneusement dissimulés, il faut le dire, et que le grand artiste ne tentait qu’avec une réserve prudente. En butinant quelque peu dans les œuvres de fra Angelico, Raphaël n’a jamais osé aller jusqu’à ces larcins manifestes qu’il a commis envers d’autres peintres moins capables de se défendre ; il savait trop bien que contrairement à la morale sociale qui réprouve un larron avec moins de rigueur qu’un meurtrier, il faut dans les beaux-arts ôter la vie aux gens qu’on vole.

Fra Angelico avait apporté à l’exécution des travaux commandés par le pape une telle assiduité, qu’il n’avait pas voulu les interrompre même pendant la saison des fièvres auxquelles on est plus exposé au Vatican que dans tout autre quartier de la ville. Sa santé, profondément altérée par cette application excessive, exigeait qu’il allât chercher sinon du repos, au moins un air plus pur, et, après la mort d’Eugène IV, il se rendit à Orvieto pour peindre une chapelle dans la magnifique cathédrale que tous les artistes éminens étaient alors appelés à décorer. Fra Angelico d’ailleurs, en restant à. Rome, eût-il été sûr de retrouver chez le successeur d’Eugène IV la protection toute particulière dont l’avait honoré celui-ci ? Le nouveau pontife, il est vrai, se nommait Nicolas V, et les peintres, comme les savans et les poètes, devaient être, on le sait, les bienvenus auprès de ce Léon X du XVe siècle ; mais le protégé du dernier pape pouvait croire que le temps de la faveur