Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/1259

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus désavantageuses. Quant à la pensée munie de l’intervention actuelle de l’Europe, elle ne saurait être douteuse pour qui réfléchit aux précédens de cette question redoutable, au caractère si grave et si puissant qu’elle a pris dans ces derniers temps. Cette pensée, c’est celle qu’exprimait sans détour le nouvel ambassadeur français à Constantinople, M. le général Baraguey-d’Hilliers, en présentant ses lettres de créance au sultan ; c’est celle qu’émettait le Moniteur en annonçant la signature du protocole de Vienne : « Maintenir l’intégrité territoriale de l’empire ottoman, dont l’existence indépendante dans les limites que les traités lui ont assignées est devenue l’une des conditions essentielles de l’équilibre européen. » À mesure qu’elle s’est déroulée, la question d’Orient a changé bien souvent de face ; par bien des côtés encore elle touche à l’inconnu. Cependant il y a aujourd’hui un point invariable et fixe sur lequel s’appuie la politique européenne, c’est le maintien de l’intégrité et de l’indépendance de l’empire ottoman, et même, ainsi que le faisait remarquer le général Baragney-d’Hilliers dans son discours au sultan, le mérite des complications récentes, c’est d’avoir posé nettement cette question.

Or, si les quatre grandes puissances sont d’accord sur ce point, pense-t-on qu’il n’y ait aucune autorité dans leur parole, quand elles diront ensemble : Tout ce qui est incompatible avec l’intégrité territoriale et l’indépendance politique de l’empire ottoman est frappé de nullité par nous ? « Constater d’avance, comme, le dit le Moniteur, que la guerre actuelle ne saurait en aucun cas entraîner des modifications dans l’état de possession que le temps a consacré en Orient, n’est-ce pas en restreindre le champ et ramener le différend survenu entre le cabinet de Saint-Pétersbourg et la Sublime Porte à des termes qui permettront à la diplomatie européenne d’exercer une action efficace et de rétablir, sous la garantie collective, une paix solide entre la Russie et l’empire ottoman ? » Telle est la question aujourd’hui. Le mérite du nouveau protocole de Vienne, c’est d’avouer une politique commune propre à fortifier les chances pacifiques là où il n’y avait qu’une action isolée, distincte, risquant toujours d’engendrer la guerre, c’est de tracer des limites, en admettant d’ailleurs dans ces limites toutes les conditions honorables qui peuvent faciliter une transaction. Il peut y avoir à nos yeux un résultat plus considérable, si la diplomatie atteint son but : c’est que l’Europe, en couvrant de sa garantie collective l’indépendance de l’empire turc vis-à-vis des autres pays, a le droit d’étendre la même garantie à la civilisation et à la condition des chrétiens de l’Orient vis-à-vis du pouvoir musulman. Quelque grand du reste que soit ce but, quoique utile que soit l’œuvre actuellement entreprise par la diplomatie, cela ne veut point dire qu’elle réussisse subitement, qu’elle n’ait des difficultés terribles à surmonter. Ces difficultés peuvent venir de la Russie, de la Turquie elle-même. Tout le monde en pressent la nature ; mais assurément la garantie collective de l’Europe est un assez grand avantage en faveur de la Turquie, pour que le gouvernement ottoman cède à des conseils de paix exprimés avec quelque décision par ses alliés. Quant à la Russie, comment n’admettrait-elle pas une composition sur un principe admis par elle-même ? Comment s’obstinerait-elle à poursuivre une guerre qui ne peut plus avoir de résultat décisif pour elle, ou qui ne pourrait en avoir qu’en mettant l’Europe entière sous les armes ? Il est permis encore de croire