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Balzac qui semblait s’appliquer à lui. Il était mécontent des autres, et il ne s’apercevait pas que c’était de lui-même qu’il était mécontent, ou s’il le sentait, il ne se l’avouait pas. Il ne se rendait pas compte d’une vérité, c’est que le génie n’est plus heureux quand il dépasse toutes les limites. Dans sa jeunesse, tout avait souri à sa fortune, parce qu’il avait pour complice l’intérêt et le vœu de la France qu’il comblait. Le jour où il resta seul avec son génie se débattant contre l’impossible, il fallait qu’il fût vaincu. C’est la leçon de l’histoire, c’est cette vérité toute de bon sens qui semblait parler souvent par la bouche de M. de Narbonne, quand il rappelait à ce génie qui le subjuguait le possible et le réel, et M. Villemain a eu grandement raison de fixer ces entretiens, ces confidences d’un homme qui voyait les pièges, qui les montrait et qui n’en restait pas moins dévoué.

Si la littérature est l’expression de la société, en même temps qu’elle fait revivre l’histoire ou qu’elle pénètre dans le monde mystérieux de l’âme humaine, comment ne reproduirait-elle point parfois quelques-uns de ces épisodes qui prennent leur place dans le mouvement général de la civilisation et où va s’employer l’activité d’un peuple ? La transformation de l’Afrique française est assurément un de ces épisodes. L’œuvre de la conquête et de la civilisation a déjà suggéré plus d’un travail précieux. Littérairement et indépendamment de bien d’autres mérites, nul peut-être n’a mieux réussi que M. le général Daumas à donner une idée de l’Algérie, du caractère arabe, des mœurs de toutes ces populations, de l’originalité même de la nature africaine, comme, de tous les accidens qui peuvent se rencontrer sur ce sol, où la civilisation campe encore à peine. M. le général Daumas continue cette œuvre instructive et pleine d’intérêt dans un livre nouveau sur les Mœurs et Coutumes de l’Algérie. On n’en est point à remarquer ce qu’il peut y avoir d’accent et de couleur dans le style d’un soldat qui écrit ce qu’il sait, ce qu’il a vu, ce qu’il a senti. C’est ainsi que M. le général Daumas, familiarisé avec tous les secrets de la vie africaine, décrit ces tribus, ces populations du Sahara, du Tell, de la Kabylie, — et ses peintures, en étant une lumière pour la politique, ont l’intérêt du roman. Dans le fond, sondez cette organisation des tribus africaines qu’analyse M. le général Daumas, pénétrez dans cette vie, observez cette ténacité religieuse, ces mœurs profondes, ces usages parfois touchans : là est le secret de la résistance jusqu’ici opposée à tous les efforts de la civilisation. Il n’est pas douteux, ainsi que l’indique M. Daumas, qu’il serait très périlleux de ne point tenir compte de cette puissance des mœurs arabes, de cette organisation presque insaisissable souvent des tribus de la Kabylie. Il faut en un mot respecter dans une certaine mesure cette indépendance, la concilier du moins avec ce qu’exige la sécurité de notre domination, et c’est là le trait politique à côté des récits d’un intérêt plus littéraire qui composent le livre de M. le général Daumas.

Jetons maintenant un regard sur quelques-uns des pays dont la situation offre quelque incident nouveau en dehors des préoccupations qui s’attachent aux affaires d’Orient. Il y a peu de temps, nous parlions du Piémont et d’une crise ministérielle qui venait de se produire. Plus récemment, c’est une crise parlementaire qui a éclaté à l’improviste, et qui a eu pour conséquence la dissolution de la chambre des députes. Des élections viennent d’avoir lieu en ce