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perdu excite toujours l’enthousiasme de M. Adam, on vient de représenter un tout petit acte, Georgette, dont la musique est d’un jeune compositeur belge, M. Gevaert. Il y a du talent dans cette petite partition, et plus de talent même que d’invention. L’orchestre est fort bien traité, bien qu’on y remarque trop de petits dessins et des modulations plus nombreuses qu’il n’en faut dans la musique dramatique. Il nous a paru aussi que M. Gevaert abuse du style syllabique, c’est-à-dire de cette espèce de récitatif mesuré qui sert à préparer l’éclosion de l’idée mélodique, et qui, sous la main de Mozart, de Cimarosa, de Rossini et aussi de M. Auber, est devenue une source d’effets admirables. Mais ce ne sont là après tout que des accessoires qui doivent aboutir à une forme mélodique bien arrêtée, expression dernière du sentiment. M. Gevaert a trop de talent pour ne pas comprendre l’utilité de notre observation.

Les concerts ne seront pas moins nombreux cette année, à ce qu’il semble, que les aimées précédentes. Déjà la société de Sainte-Cécile a donné l’exemple par une première séance qui a eu lieu le 27 novembre. On y a exécuté l’ouverture du Mariage de Figaro de Mozart, la symphonie en la de Beethoven, des fragmens de la Passion, par Sébastien Bach, et une ouverture de Manfred, de la composition de M. Schumann. M. Hubert Schumann est au nombre des trois ou quatre musiciens allemands qui s’efforcent, depuis une quinzaine d’années, de constituer une nouvelle école où l’art de Haydn, de Mozart, de Beethoven et de Mendelssohn subirait une transformation qu’il est bon d’apprécier en quelques mots.

Né en Saxe, à Zwickau,en 1810, M. Robert Schumann, qui est maintenant fixé à Dusseldorf, a cultivé dès son enfance, et avec une ardeur égale la musique et la poésie. Après avoir étudié le droit à Leipzig, où il eut de fréquentes occasions d’entendre exécuter les œuvres de Sébastien Bach, après un voyage fait en Italie, en 1829, où il rencontra Paganini, qui lui inspira une vive admiration, M. Schumann retourna dans la ville où il avait fait son éducation littéraire et s’y fixa. C’est en effet à Leipzig que M. Schumann a publié ses premières compositions, parmi lesquelles on remarque une sonate pour piano intitulée : Florestan et Eusebius, qu’il dédia à Mlle Clara Wick, virtuose habile sur le piano, qu’il a épousée depuis. Trois symphonies, plusieurs quatuors et quintetti pour instrumens à cordes, un grand nombre de petites pièces pour le piano, et beaucoup de chansons qui sont loin des mélodies de Schubert, un opéra, Genoveva, qui n’a eu que trois représentations, etc. : telles sont à peu près les œuvres qui ont valu à M. Schumann, dans une très petite portion de l’Allemagne, une renommée bruyante, et qui est contestée d’ailleurs par la grande masse des connaisseurs.

Si toute la musique de M. Schumann ressemble à l’ouverture de Manfred, qui a été exécutée par la société Sainte-Cécile, nous ne sommes pas surpris qu’on refuse à ce musicien le titre de génie original qui lui a été décerné par une coterie de faiseurs de systèmes. En Allemagne plus qu’ailleurs, on se paie facilement de fausses théories dans les arts, et il n’y a pas de pauvretés qu’on ne puisse y faire passer à l’ombre d’une prétendue philosophie nouvelle. M. Schumann, qui a fait lui-même de la critique dans la Nouvelle Gazette musicale de