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Leipzig, où il a déployé le zèle et l’âpreté d’un néophyte, est au nombre, de ces esprits aventureux qui s’imaginent qu’on peut faire de la musique sans idées, en accumulant des accords et des effets de sonorité. Il vise au pittoresque, à la profondeur psychologique, et, en poursuivant ces chimères, il manque le vrai but de l’art, qui est de saisir l’imagination et d’intéresser le cœur par une forme musicale bien arrêtée, qui vive de sa propre vie, sans avoir besoin d’être commentée par un professeur d’esthétique. M. Schumann, qu’une poignée de littérateurs a voulu poser en rival de Mendelssohn et même de Beethoven, est sans doute un homme de mérite, un esprit subtil, un compositeur plus ingénieux qu’inspiré, un de ces artistes de la décadence enfin qui exagèrent les défauts des maîtres et gaspillent les conquêtes d’Alexandre. Oui, les Richard Wagner, les Schumann, les Berlioz, etc., tous ces musiciens hybrides qui ne sont ni oiseaux, ni chauves-souris, demi-poètes et quasi prosateurs, mélange hétérogène de critique et de compositeur, sont les enfans abâtardis de la vieillesse de Beethoven, dont ils admirent par-dessus tout les infirmités. C’est ainsi que les élèves de Michel-Ange, en exagérant les défauts de leur maître, ont perdu l’art italien. Remercions toutefois M. Seghers et la société qu’il dirige avec tant d’intelligence de nous faire connaîtra successivement les œuvres des nouveaux compositeurs qui prétendent, comme Sganarelle, avoir déplacé le cœur humain.

Dans une représentation solennelle qui a eu lieu récemment à l’Opéra, où Mlle Rosati a pris congé du public parisien, qui l’a si bien accueillie, on a remarqué, entre autres hors-d’œuvre dont se composait le programme de la fête, un morceau de musique instrumentale de M. Meyerbeer Intitulé la Marche aux flambeaux (Fackeltanz). Ce morceau, qui a été fort bien exécuté par l’orchestre de M. Adolphe Sas, sous la direction de M. Mohr, a été composé à Berlin pour une fête de la cour. Il est d’usage antique et solennel, dans les cours du Nord, qu’au mariage d’un prince ou d’une princesse de la famille royale, chacun des fiancés, un flambeau à la main, fasse le tour de la salle, le prince donnant le bras à une dame, et la princesse à un seigneur de la cour. Les deux dames changent de partner et parcourent ainsi le même espace jusqu’à ce qu’ils aient accordé à chacun des assistans la même faveur. Le morceau de musique qui s’exécute pendant la marche de cette théorie nuptiale doit être à trois temps, d’un mouvement modéré, et exécuté par des instrumens à vent. Telle est la donnée qui était imposée au compositeur, et à laquelle M. Meyerbeer a dû se conformer, si le thème de la Marche aux flambeaux n’est pas aussi saillant qu’on pourrait le désirer, il est traité de main de maille et ramené plusieurs fois avec une puissance de coloris digne de l’auteur de Robert le Diable et des Huguenots.

La saison musicale, qui s’annonce assez modestement, paraît cependant devoir être assez bruyante, car M. Liszt se dispose encore à faire des siennes. Mécontent du repos qu’on lui laisse à la cour de Weimar, s’apercevant que l’Europe peut vivre sans trop s’occuper de lui, déçu dans son ambition de compositeur et d’écrivain, voyant que ses livres sont aussi peu goûtés que les œuvres de ses amis MM. Berlioz. Wagner, Schumann, etc., le célèbre pianiste se prépare à frapper un grand coup et à finir comme il a commencé,