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du public. On ne soupçonne pas d’ailleurs (et il est bon d’en avertir de loin en loin le lecteur) ce que peut valoir d’agressions de toute sorte - à une Revue qui a réussi à se consolider - la triste nécessité où l’on est quelquefois d’opérer certains divorces[1].

Après cela, qu’on juge des difficultés, des incertitudes et des mécomptes de cette vie littéraire et politique de vingt ans, avant que la Revue eût conquis son existence propre et indépendante : Aussi avons-nous pu écrire récemment les lignes suivantes que nous reproduisons ici, parce qu’elles sont vraies de tous points : — Les établissemens littéraires durables se comptent partout, principalement en France, où, depuis un quart de siècle, tant de recueils périodiques ont essayé de se fonder pour disparaître bientôt après[2]. C’est le mérite et le caractère de la Revue des Deux Mondes d’avoir su durer et s’établir sur une forte base au milieu des tentatives éphémères de toute sorte qui se sont produites en dehors d’elle. C’est peut-être aussi que la Revue des Deux Mondes n’a jamais consenti à se faire l’instrument d’une coterie ou des passions du moment, l’organe étroit d’un parti ou de quelques hommes : elle a toujours eu l’ambition d’être un foyer ouvert à toutes les idées généreuses et vraies, un centre où tous les esprits sérieux, réfléchis, distingués, pussent se joindre et se retrouver. Elle n’a jamais hésité non plus à employer les ressources mêmes qu’elle tirait de son succès à des développemens nouveaux qui pussent fortifier et agrandir sa base d’opérations. L’Annuaire des Deux Mondes, histoire générale des divers États, que la Revue a, depuis

  1. Ne s’est-il pas même trouvé récemment un écrivain (qu’un peu plus de mémoire eût préservé de cette faute) pour diriger contre nous une campagne en régle jusque dans les journaux russes ? C’est à propos d’une de ces violentes sorties dont nous avions été l’objet cette fois dans des journaux français, qu’un de nos anciens collaborateurs, dont nous avons vu avec regret l’éloignement, disait si bien (nous ne l’avons pas oublié) et si éloquemment : « Il s’est élevé depuis lors toute une race sans principe., sans scrupules, qui n’est d’aucun parti ni d’aucune opinion, habile et rompue à la phrase âpre au pain, au front sans rougeur dès la jeunesse, une race résolue à tout pour percer et pour vivre, pour vivre non pas modestement, mais splendidement ; une race d’airain qui veut de l’or. La reconnaissez-vous, et est-ce assez pour vous marquer par l’effigie cette monnaie de nos petits Catilinas ? Que le public qui voit les injures sache du moins à quel prix on les a méritées. Ce qu’à toute heure du jour un recueil qui veut se maintenir dans de droites lignes se voit contraint à repousser de pamphlétaires, de libellistes, de condottieri enfin, qui veulent s’imposer, et qui, refusés deux et trois fois, deviennent implacables, ce nombre-là ne saurait s’imaginer. » [La Revue des Deux Mondes en 1845, par M. Sainte-Beuve, livraison du 15 décembre 1844.)
  2. On en pourrait citer jusqu’à vingt, peut-être même un par année. — Pour assurer cette existence indépendante dont nous parlons à un établissement littéraire comme la Revue des Deux Mondes, il lui faut au moins six ou sept mille souscripteurs, et ce n’est qu’après plus de vingt ans d’une existence non sans éclat, que la Revue a pu enregistrer ce chiffre de protecteurs éclairés et d’amis sympathiques des lettres sérieuses. La plupart des recueils périodiques en France, sauf la Revue Britannique, n’ont jamais pu dépasser ou même atteindre mille abonnés bien assurés après plusieurs années d’une vie laborieuse. En 1834, nous primes aussi la direction de la Revue de Paris, qui avait fait tant de bruit à son origine : eh bien ! elle avait, après six ans d’existence, environ sept cents abonnés, et quand elle cessa de paraître en 1845, elle en avait neuf cents !