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de blâmable dans l’ouvrage politiquement badin qu’on lui soumet, et que la censure proprement dite ne doit pas en arrêter l’impression. Cependant, comme il ne veut pas rester trop au-dessous de ce rôle austère de censeur, et comme il reconnaît que le ton de l’ouvrage en question n’est pas en harmonie avec la gravité du sujet, il ajoute ces lignes, assez curieuses sous la plume de l’auteur du Mariage de Figaro : « Cet ouvrage manque de cette décence patriotique si peu connue dans ce pays-ci, où l’on plaisante sur tout ; les événemens présens sont les vases sacrés de la politique, il faut ou se taire ou prendre le ton élevé qui rend les objets respectables. Sur ce, monsieur, vous prendrez le parti qui vous semblera le plus juste. » On reconnaît ici que Beaumarchais n’a pas de vocation pour l’état de censeur, et qu’il ne sait trop comment conclure.

Brouillé avec M. Necker à la suite de quelques dissentimens sur des mesures financières et probablement aussi par l’effet d’un désaccord naturel entre la raideur si connue du ministre genevois et la facile souplesse de ses propres allures, Beaumarchais est au mieux avec le rival et le successeur de M. Necker, M. de Calonne, qui paraît avoir pour lui un goût très marqué. On s’étonnera peut-être de voir, à l’époque même où l’on est habitué à considérer Beaumarchais comme une sorte de factieux en lutte avec toutes les autorités pour faire jouer une comédie séditieuse, on s’étonnera de voir M. de Calonne lui accorder, de la part du roi, une indemnité considérable et depuis longtemps vainement réclamée, en lui adressant une lettre des plus aimables, écrite tout entière de la main du ministre, et dont la date est précieuse, car elle précède de trois mois à peine celle de la première représentation du Mariage de Figaro.


« À Versailles, le 19 janvier 1784.

« Je vous annonce avec un vrai plaisir, monsieur, que le roi, sur le compte que je lui ai rendu de votre demande, de toutes les circonstances de votre affaire, et du besoin que vous aviez de recevoir un nouvel à-compte sur les indemnités que vous réclamez, a bien voulu vous faire toucher la somme de 570,627 livres qui, avec celle de 905,400 que vous avez déjà reçue, fera le montant de ce que les commissaires chargés de l’évaluation de vos indemnités ont estimé vous être dû. Sa majesté a approuvé en même temps que l’examen de vos répétitions ultérieures fût confié à cinq négocians instruits des objets maritimes, dont elle a agréé la nomination telle que je la lui ai proposée. Vous recevrez incessamment l’ampliation du bon du roi qui vous apprendra leurs noms.

« Vous me faites éprouver, monsieur, le plaisir qu’il est naturel de trouver à procurer justice et satisfaction à un citoyen aussi distingué par son zèle pour le service du roi et pour l’intérêt de l’état que par ses lumières, ses talens et les grâces de son esprit. Je suis charmé d’avoir cette occasion de vous exprimer les sentimens sincères que je vous ai voués depuis longtemps