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s’agit. Je serais bien fâché de vous faire manquer de parole à celui que vous nommez votre protecteur[1], mais il me semble, d’après ce que vous me mandez, que vous n’avez point de jour pris. Ainsi je vous propose, si vous ne voulez pas refuser Mme la princesse de Lamballe et moi, son porte-parole, d’accepter pour mercredi ou pour samedi, et de me faire dire mardi ou lundi, si vous pouvez, le jour que vous aurez choisi. Jusqu’à votre réponse, je ne lui en ferai point. Vous dites que j’ai été votre adversaire en comédie ; je ne le nie pas, mais il me semble que je n’ai pas eu tout à fait tort, et que vous vous êtes beaucoup rapproché de mon avis. En vérité, il serait injuste d’avoir plus de rancune contre moi que contre les comédiens, cela ne serait pas généreux. Ainsi j’attends votre réponse, et suis, je vous assure, sans rancune, comme vous devez y être. Adieu. »


Beaumarchais finit par céder aux instances du duc de Fronsac, parlant pour la princesse de Lamballe ; mais il est évident qu’il se fait prier.

L’arrivée à Paris du comte et de la comtesse du Nord (le grand-duc de Russie, depuis Paul Ier, et la grande-duchesse) au printemps de 1782 parut à l’auteur du Mariage de Figaro une excellente occasion pour tenter un vigoureux coup de collier contre la réprobation du roi, et là encore Beaumarchais s’arrange pour qu’on vienne au devant de lui. C’est M. le baron de Grimm, demi-philosophe, demi-chambellan, qui se charge de le prévenir que les augustes voyageurs ont un extrême désir d’entendre une lecture de cette pièce, qui fait l’entretien de tout Paris. La lettre suivante n’est pas signée, mais elle est du baron de Grimm, dont nous avons l’honneur de connaître l’écriture. Le brouillon de la réponse de Beaumarchais au baron ne laisse d’ailleurs aucun doute sur l’authenticité de sa lettre.


« Il faut que vous sachiez, monsieur, écrit Grimm à Beaumarchais, qu’aujourd’hui à dîner il a été beaucoup question chez M. le comte du Nord du Mariage de Figaro, que M. le comte et Mme la comtesse ont témoigné un grand désir de connaître cette pièce, et qu’il a été convenu qu’on proposerait à l’auteur de venir dimanche vers les sept heures du soir, et d’avoir la complaisance d’apporter sa pièce et de la lire. Le prince Yousoupoff s’est chargé de cette proposition comme étant d’ancienne date de la connaissance de l’auteur. Je crois que cette lecture ne doit pas être refusée, et que, bien loin de nuire au projet de la représentation, elle pourra l’avancer considérablement, parce que si, comme je n’en doute pas, la pièce fait l’effet qu’elle est accoutumée de faire, les auditeurs n’en seront que plus encouragés à faire quelque démarche en faveur de la représentation. J’ai cru devoir vous informer de l’état des choses, mais je vous supplie très instamment, monsieur, de ne pas me compromettre, car je n’ai été que témoin en disant mon avis ; on ne m’a chargé de rien, et l’intérêt que nous prenons tous les deux à la chose exige

  1. Beaumarchais alléguait sans doute une lecture promise à quelque autre grand seigneur que j’ignore.