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promettra formellement de le laisser arriver jusqu’au public ; mais, comme il n’ose pas encore pousser jusque-là, et qu’il veut cependant faire un pas de plus, il invente la belle périphrase qu’on vient de lire, qui devient ainsi une sorte d’engagement vague contracté envers lui, et sur lequel il s’appuiera tout à l’heure pour aller plus avant. À ces conditions, il accorde enfin la permission demandée, et M. de Vaudreuil l’en remercie par le billet suivant, qui prouve que, quant à lui, il accepte l’engagement dans le sens entendu par Beaumarchais :


« Le comte de Vaudreuil a eu l’honneur de passer chez M. de Beaumarchais pour le remercier de la complaisance qu’il veut bien avoir de laisser jouer sa pièce à Gennevilliers. Le comte de Vaudreuil a saisi avec empressement cette occasion de rendre au public un chef-d’œuvre qu’il attend avec impatience. La présence de monseigneur le comte d’Artois et le mérite réel de cette charmante pièce détruiront enfin tous les obstacles qui avaient retardé la représentation, et conséquemment le succès. Le comte de Vaudreuil désire vivement pouvoir faire bientôt lui-même tous ses remerciemens à M. de Beaumarchais.

« Ce lundi, 15 septembre 1783. »


Quelques jours après, toute la cour se donna le plaisir d’assister à la représentation d’une pièce que le roi avait déclarée détestable et injouable. On dit même que la reine aurait paru à Gennevilliers sans une indisposition. Il est bien possible, comme le raconte Mme Lebrun, que, les dames se plaignant de la chaleur, Beaumarchais ait cassé les carreaux avec sa canne, et que cela ait fait naître ce joli mot, qu’il avait doublement cassé les vitres ; mais quand Mme Lebrun nous le montre ivre de bonheur, courant de tous côtés comme un homme hors de lui-même, elle le considère à travers le prisme du temps écoulé et de son imagination, ne pouvant pas se douter qu’au lieu d’avoir cruellement harcelé M. de Vaudreuil, comme elle le croyait, Beaumarchais s’était contenté de le voir venir, de se faire prier, flatter par lui, et de l’exploiter tranquillement.

De même, quand Mme Lebrun, sans le dire expressément, semble indiquer que la représentation de Gennevilliers eut peu de succès, et quand elle nous dit que chacun souffrait de ce manque de mesure, nous sommes porté à croire que l’auteur substitue à ses impressions du moment celles qui la dominent à l’époque où elle rédige ses souvenirs. Le manque de mesure, en quelque genre que ce soit, faisait alors l’effet d’une hardiesse amusante. On vient d’entendre le sévère historien Gaillard, qui nous a donné le diapason du sentiment général. Cependant la pièce contenait encore, au moment de cette représentation de Gennevilliers, des détails qui durent choquer sans doute même les têtes folles disposées, comme Gaillard, à pardonner beaucoup à