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sera le prix français, le prix le plus élevé, qui deviendra, par la force des choses, le cours régulateur, par la raison que c’est le plus fort marché qui fait la loi aux plus petits.

Cependant il est certain que les représentans des intérêts agricoles se sont toujours récriés très vivement chaque fois qu’il a été question de remanier, même partiellement, même dans une proportion très restreinte, le tarif des bestiaux. Le traité de commerce conclu en 1843 entre la France et les états sardes substituait la taxe au poids à la taxe par tête pour les bestiaux importés de ce pays, et fixait à 40 francs le maximum du droit. Que l’on relise les discussions qui s’engagèrent au sein de la chambre des députés lorsque le gouvernement s’adressa aux pouvoirs législatifs pour obtenir la sanction des clauses douanières inscrites dans ce traité. On jugera à quel point certains orateurs se montrèrent effrayés, indignés même de l’attentat dont l’agriculture allait être victime : ces ardens défenseurs des bestiaux français voyaient déjà tous les bœufs du Piémont et de la Savoie défiler en bon ordre vers notre frontière et passer à l’aise sous le droit réduit. Eh bien ! qu’est-il arrivé? Le traité n’a été mis à exécution qu’à partir de 1846, et il se trouve que depuis cette époque il n’y a pas eu d’augmentation sensible dans l’importation de ces bœufs si redoutés. Si l’on avait prêté l’oreille aux craintes exagérées, aux réclamations vraiment ridicules qui s’étaient produites, on aurait renoncé à un traité qui, en échange d’une concession peu importante, favorisait dans les états sardes le placement de nos vins. Veut-on un autre exemple de la susceptibilité, souvent puérile, que provoque dans les régions agricoles la moindre modification de tarif? On sait qu’une loi votée au mois de janvier 1854 a remanié le régime commercial de l’Algérie et autorisé l’admission en franchise dans la métropole des produits naturels de la colonie. Cette mesure sage, équitable, paraissait à l’abri de toute critique : si elle avait un tort, c’était de s’être fait attendre trop longtemps. Cependant il y eut, dans un département du centre de la France, un conseil général qui prit ombrage et signala une prétendue concurrence des bestiaux de Tunis ou du Maroc, que l’on aurait pu introduire en France avec exemption de droits en les faisant passer par l’Algérie ! Il ne faut donc pas, en vérité, se préoccuper trop sérieusement des exigences restrictives qui se manifestent ainsi en toute occasion; c’est presque un parti pris.

En résumé, il est probable que, sauf l’excitation du premier moment, l’abaissement du droit des bestiaux n’entraînera pas en France une importation trop considérable de l’étranger, ou du moins ne réduira pas sensiblement le prix de la viande. Le décret du 14 septembre serait-il donc inutile, et n’aurait-il pour résultat que d’inquiéter, de mécontenter, sans grand profit pour le consommateur, les classes nombreuses qui se livrent à l’industrie agricole? Non, certes. Ce décret présente au contraire, à d’autres points de vue, d’incalculables avantages : à titre d’expérience, il démontrera, nous l’espérons, que l’agriculture, favorisée aujourd’hui par la réduction de l’impôt du sel, par le dégrèvement de 27 millions accordé récemment à la propriété foncière, par l’ouverture du marché anglais (bénéfices dont elle ne jouissait pas en 1826), n’a point d’intérêt sérieux au maintien des droits d’entrée. Or il est toujours d’un bon exemple et d’un excellent effet de supprimer dans la législation une taxe qui n’a point de raison d’être, et surtout une taxe qui,