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les femmes entre l’administration et le sacerdoce, pour lequel elles ont aussi une vocation toute spéciale, à ce qu’il paraît. Voilà pourtant où peut tomber une imagination malade ! Tout cela se presse et se mêle dans un récit haché, fantasque, plein de boutades humoristiques. Cette histoire était commencée avant 1848 ; février est venu et n’en a point changé l’esprit. Seulement elle était autrefois une arme de parti, elle ne peut plus guère être cela aujourd’hui et n’est pas davantage une sérieuse histoire. Tout au plus est-elle un symptôme de certaines tendances morales et intellectuelles de notre temps et des ravages que peut causer dans une imagination cette espèce de fanatisme mystique de la révolution.

Si on étudiait les maladies morales, les symptômes intellectuels du moment présent, ce genre de mysticisme révolutionnaire serait certes au premier rang ; il y aurait encore par malheur dans la vie morale des hommes d’aujourd’hui plus d’une nuance, plus d’une singularité, plus d’une corruption, ou bien d’autres erreurs périlleuses, quoique sous des apparences plus inoffensives, qu’il serait facile d’analyser et de décrire sans se rejeter dans l’histoire. C’est ce que fait l’auteur du Mariage au point de vue chrétien, par un procédé plus direct d’observation, dans un livre nouveau et un peu étrange sur Quelques défauts des Chrétiens d’aujourd’hui. On connaît l’auteur et son zèle de prosélytisme protestant et sa verve assez âpre de moraliste presque sectaire. Or cette verve et ce zèle. Mme  de Gasparin les emploie avec une sincérité passionnée à signaler des défauts qu’elle connaît sans nul doute, tandis que de son côté M. Agénor de Gasparin s’occupe à méditer et à écrire sur les tables tournantes, s’exposant ainsi à d’assez dangereux rapprochemens avec les montagnards en disponibilité. N’est-il point étrange que ce soit l’auteur du Mariage au point de vue chrétien, du Journal d’un Voyage au Levant, qui entreprenne une croisade contre l’esprit de secte, contre l’étroit formalisme et les passions exclusives des petites églises, contre le rigorisme intolérant ? Mme  de Gasparin n’y va pas même de main légère, et il ne serait point impossible, à tout prendre, que sans y songer elle ne se blessât elle-même parfois, et qu’elle ne fût la première à tomber dans quelques-uns de ces défauts qu’elle signale : pure affaire d’habitude. L’auteur est d’humeur prêcheuse et ne peut si subitement y renoncer. Le formalisme, l’esprit de secte, le mysticisme même, sont des caractères généraux que Mme  de Gasparin peut décrire avec verve, mais qui n’ont rien de particulièrement propre à notre siècle. Ce temps-ci cependant n’est point sans lui offrir plus d’un trait nouveau, par exemple ce radicalisme qui se pare d’une couleur chrétienne, cette espèce de communisme qui se déguise sous un habit religieux et qui va s’entretenir dans les agapes fraternelles. Ce qu’est ce radicalisme sous sa forme purement révolutionnaire, nous l’avons vu ces dernières années : Mme  de Gasparin le montre sous une autre forme. Il y a donc, à ce qu’il paraît, quelque part, dans l’ombre des églises que connaît l’auteur, des agapes fraternelles ? On s’y réunit pour causer, pour prier, pour prendre le thé, pour se dire qu’on est frères en Christ. La cuisinière s’asseoit à côté de sa maîtresse, le cordonnier à côté de son client. Le prétexte, c’est l’édification mutuelle et la fraternité chrétienne ; le vrai mobile, c’est la passion du nivellement. Par malheur cela ne change rien, et après comme avant il faut en revenir à ce mot d’un domestique que rapporte l’auteur : « Hier soir nous étions tous messieurs ; ce matin c’est encore : Pierre, apportez-moi