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Estienne, très honorable négociant de Bordeaux établi à Mexico depuis le même nombre d’années. Le docteur Goupilleau est parent de M. Villemain. Une telle parenté lui a porté bonheur; il rapporte du Mexique un esprit très piquant et du meilleur aloi. Mes deux nouveaux compagnons de voyage connaissent à fond un pays où ils ont vécu si longtemps, et leur conversation ne peut manquer de m’apprendre bien des choses : ainsi tout me promet que cette dernière partie du voyage sera aussi instructive et aussi agréable que les autres.

Nous sommes partis ce matin de Mexico en pensant avec une certaine satisfaction que nous allions droit à Paris; nous y serons au plus tard dans six semaines, car nous n’avons qu’environ deux mille lieues à faire; encore devons-nous nous arrêter sur la route à Puebla et à Orizaba, sans compter les relâches à la Jamaïque et à Saint-Thomas. Les garçons de l’hôtel ont eu soin de nous dire, en nous servant le café du matin, que nous ne pouvions manquer d’être dévalisés, qu’on avait arrêté la diligence presque tous les jours de la semaine dernière, ce qui n’était qu’en partie vrai; mais nous commençons à nous faire à ces bruits et à ces exagérations. A peine dans la diligence, on se met à raconter des histoires de voleurs, dont quelques-unes sont assez comiques : l’autre jour, ils ont été fort polis, et même assez humbles, demandant presque pardon aux voyageurs de la liberté grande, assurant que la misère les forçait à faire ce métier; on leur a donné 50 piastres, et ils se sont retirés très satisfaits. On parle aussi d’Yankees qui ont tué et volé les voleurs, c’est-à-dire leur ont repris ce qu’ils avaient dérobé à d’autres. Un Français est parvenu à soustraire sa valise à leurs recherches et à détourner leur attention en s’occupant d’une manière empressée et bruyante d’aller au secours des dames qui s’évanouissaient, puis en aidant un Anglais, qui avait pris le costume du pays, à ôter les boutons d’argent de son pantalon mexicain. Quand nous arrivons à l’endroit le plus redouté, au fameux bois de pins, la gaieté se calme un peu, surtout là où l’on découvre une échappée de vue sur la plaine. En Italie, c’est dans les gorges resserrées que l’on court le plus de risque d’être surpris par les brigands, parce que ce sont des brigands à pied; au Mexique, comme on a affaire à des brigands à cheval, on n’a guère à craindre quand on ne voit pas un lieu ouvert par où ils puissent fondre sur vous au galop et se retirer de même. C’est ainsi qu’en voyageant on apprend à connaître les mœurs et coutumes des différens pays,

A côté de moi, dans la voiture, est M. … des États-Unis; seul il est armé, et laisse avec soin passer par la portière l’extrémité d’un fusil. J’avoue que ce voisinage, malgré l’intéressante conversation