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Après Orizaba, l’on continue à trouver une riche végétation jusqu’à ce qu’on arrive décidément à la Terre-Chaude. Ici, le sol est brûlé, et après la température fraîche et humide d’hier soir et de ce matin, nous nous trouvons dans une plaine brûlante.


Paso del Macho.

Nous nous arrêtons ici vers trois heures en pleine zone torride. Pas un souffle d’air, un soleil ardent, de vastes plaines à l’extrémité desquelles nous voyons encore l’Orizaba. Il y a bien un bois près du rancho, mais on n’ose s’y aventurer parce qu’il est rempli de garapates, petits animaux qui ont la mauvaise habitude de laisser leur tête dans la plaie qu’ils font, ce qui cause une vive douleur. Nous voyons avec plaisir l’approche du soir annoncée par le vol tremblottant des perroquets qui regagnent les bois. La lune se lève, et nous songeons au bonheur de dormir dans le vestibule du rancho qui laisse passer l’air à travers ses parois à jour formées de roseaux.

Un fâcheux accident sui-vient. Il y aura bal cette nuit dans le rancho en l’honneur de Notre-Dame de los Dolorès. Ce bal est en même temps dédié à une belle qui s’appelle Dolorès, association bien espagnole de la dévotion et de la galanterie. Impossible de dormir de toute la nuit dans le lieu où nous sommes. On consent à nous loger dans une autre habitation ; mais l’aspect des danseurs, qui arrivent tous avec le machete[1] à la ceinture, n’a rien de très rassurant pour nous et pour nos malles, qui sont sur la voiture remisée en plein air. Je propose de les transporter dans la cabane où nous devons coucher. Le docteur Goupilleau, qui connaît les gens du pays, n’est pas de cet avis : « Nous sommes à leur discrétion, dit-il; il n’y a rien à faire que de montrer de la confiance. » Nous suivons le conseil du sage docteur, et nous allons nous coucher après avoir regardé quelque temps danser les Indiens. Leur danse est très monotone; c’est un petit trémoussement et un petit trépignement au son de la harpe, car la harpe est au Mexique ce qu’est la guitare en Espagne. Ce divertissement peu varié a duré toute la nuit. Grâce au ciel, nos malles sont intactes. Le docteur dit qu’il n’en eût pas été ainsi dans l’intérieur; mais nous approchons de la côte, et les Indiens de la côte sont plus honnêtes que ceux du haut pays. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’on ne nous a rien pris.

Avant de nous éloigner, nous voyons les danseuses se retirer vers six heures du matin. Elles sont couronnées de fleurs. L’une d’elles a un beau peigne doré dans lequel elle a logé des cigares. C’est probablement un cadeau de son amoureux. Avant d’arriver au village où

  1. Grand couteau que portent les Indiens.