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la fièvre révolutionnaire, et elle laissait le gouvernement de Madrid faible, désarmé au milieu d’un pays déchiré et incertain, — de telle sorte qu’il y a une connexité fatale entre le progrès de la révolution et le progrès de la cause carliste. Cela est si vrai, que, comme nous le disions, dès que la guerre est terminée à Bergara, dès que la lutte change de face et devient une lutte directe entre la révolution et la royauté demeurée debout, c’est la royauté qui reste victorieuse.

Alors commence un mouvement de raffermissement progressif. La royauté retrouve son point d’appui dans l’instinct national désormais à l’abri des incertitudes, des fluctuations et des surprises, et le pays à son tour retrouve son point d’appui et sa sauvegarde dans la monarchie. C’est surtout à ce raffermissement que l’Espagne a dû de ne point suivre le branle des révolutions de 1848. Aussi, quelques rapports apparens qu’il puisse y avoir entre les crises actuelles de la Péninsule, entre les tentatives de remaniement politique qui s’y produisent, et les réactions qui emportent l’Europe, il ne faut point cependant exagérer cette solidarité. Au-delà des Pyrénées, c’est la suite d’un travail propre, continu, qui date de plus de dix ans sans interruption, et qui, par cela même qu’il n’est point né des événemens récens, peut fort bien atteindre son but sans détruire essentiellement le régime constitutionnel. Ce but, c’est de replacer de plus en plus la monarchie dans les institutions au rang où elle est dans les mœurs et de faire de la royauté même la garantie, la condition tutélaire d’une liberté régulière et modérée. Que don Carlos eût triomphé, la Péninsule était précipitée fatalement vers les extrêmes; elle n’avait d’autre choix qu’entre l’absolutisme et une révolution qui eût pris peut-être le sinistre cours de la première révolution française. Le caractère, le mérite de la monarchie d’Isabelle II, c’est justement d’avoir été un ordre nouveau offrant toute latitude aux réformes légitimes en restant dans la tradition. Si on compare les événemens contemporains de la Péninsule avec les événemens analogues dans l’histoire de quelques autres peuples, l’Espagne a certainement de moins qu’eux le vice d’une rupture violente avec le passé; cet avantage, elle l’a sur l’Angleterre elle-même, qui fut moins heureuse en 1688, et qui eut à faire subir une dérogation bien plus sérieuse à la tradition monarchique. Nous n’entreprendrons point à coup sûr de mettre en parallèle les résultats dans les deux pays; mais aussi il ne faut point oublier cent soixante-cinq années d’histoire, pendant lesquelles la pureté des institutions n’a pas toujours été intacte, la liberté n’a pas été sans éclipses, et le despotisme n’est pas sans avoir fait plus d’une trouée dans le régime constitutionnel, avant que l’Angleterre en vînt au point où elle est aujourd’hui.

Quelle était l’opinion de Balmès sur cette crise de la dynastie et de la société politique en Espagne ? Elle ne pouvait être absolument