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vous une nation de quinze millions d’hommes qui a ses croyances, ses sentimens, ses mœurs, ses nécessités nouvelles avec ses nécessités anciennes ; une nation qui pense, qui veut, mais avec une certaine obscurité, avec une certaine confusion, comme l’individu qui sent s’agiter dans son esprit des idées mal formées et inexactes, des projets mal coordonnés et incomplets… Que quelqu’un vienne lui dire nettement : C’est là ce que tu veux, et voilà les moyens de le réaliser ! — La nation répondra : C’était là en effet ce que je voulais sans pouvoir m’en rendre un compte exact. » La recherche de cette pensée est le sujet permanent du Pensamiento de la Nacion. Ce qu’il y a de remarquable, c’est que la plupart des idées du publiciste catalan ont eu leur jour et leur heure. Le programme politique qu’il traçait dès le premier moment a fini presque constamment par être suivi, et il l’est encore.

La préoccupation monarchique dominait évidemment dans les idées politiques de Balmès. Était-il cependant absolutiste au fond, comme on l’a dit ? Quelle part faisait-il à ces nécessités nouvelles dont il parlait lui-même, à un régime constitutionnel ? Il se tirait spirituellement d’affaire en proposant une constitution assez courte pour pouvoir figurer sur les pièces de monnaie. Voici cette constitution modèle : « art. 1er, le roi est souverain ; — art. 2, la nation vote l’impôt et intervient dans les affaires graves par ses organes légitimes. » — Seulement le jeune législateur ne remarquait point que si cette constitution n’était pas plus sincèrement observée que les autres, il importait assez peu qu’elle fût inscrite sur le bronze, sur l’airain ou sur le papier. Nous avons passablement de gouvernemens sur notre monnaie, et cela ne les a pas rendus plus durables. Peut-être le fond de la pensée de Balmès se dévoile-t-il mieux ailleurs. Il n’était point absolutiste, parce qu’il ne pouvait pas l’être, parce qu’il était dans la nature de son intelligence d’aimer la discussion, qui est la vie de l’esprit, la lutte ramenée à un objet sérieux et utile, — parce qu’il y avait en lui une certaine fierté qui portait aisément le joug des grandes vérités sociales et morales, mais qui se refusait aux despotismes vulgaires. Il le prouvait bien lorsque, se tournant vers les théoriciens de l’immobilité des sociétés et vers ceux qui plus tard, à l’occasion de l’apologie de Pie IX, lui reprochaient presque d’être un novateur, il leur disait : « Il ne faut point se laisser abuser par le cri de liberté ; ne nous laissons point cependant abuser davantage par les mots d’ordre social et de conservation… L’anarchie est une chose horrible, mais le despotisme n’est pas beau non plus à coup sûr. La révolution par ses destructions offre un spectacle désastreux, mais les oppressions du pouvoir sont aussi un tableau répugnant… Respectons le passé, mais ne croyons pas que par un stérile désir nous le puissions restaurer, et en nous intéressant aux restes de ce qui fut, ne poussons