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convaincus que le saint pensera d’abord à ceux qui contribuent à honorer sa mémoire. Cette foi simple et touchante, cet attachement aux traditions locales, ce zèle pour le culte, ces aspirations vers le surnaturel, tiennent une place tout à fait prédominante dans la vie morale des ouvriers de Lodève. Voilà le pain des âmes, voilà l’aliment qui plaît le mieux aux esprits : par malheur, ces élans se mêlent à une ignorance souvent grossière. Vives et promptes de leur nature, les intelligences sont en général fort incultes. Quand on envisage même les classes les plus favorisées de la fortune, on s’aperçoit aisément que le goût de l’étude n’est pas très développé à Lodève, et que le niveau des connaissances est généralement peu élevé. Cette indifférence universelle a pu contribuer à ralentir le développement de l’instruction parmi les masses. Beaucoup de femmes d’ouvriers ne connaissent que le patois local, et les hommes sont incapables de soutenir en langue française une conversation un peu longue et un peu variée. Parmi les travailleurs des fabriques, la moitié tout au plus ont appris à lire ; mais grâce à l’institution des frères de la doctrine chrétienne, on remarque depuis plusieurs années, dans la partie la plus jeune de la population, un progrès qui permet d’espérer pour l’avenir de meilleurs résultats. On peut d’autant mieux y compter, que les familles ouvrières semblent assez portées aujourd’hui à envoyer leurs enfans dans des écoles qui obtiennent toute leur confiance. La population pourra se relever ainsi peu à peu d’un abaissement intellectuel funeste à tous les intérêts.

Entre les ouvriers de Bédarieux et ceux de Lodève, on peut signaler quelques différences morales assez notables. Ces différences semblent s’expliquer par la condition si différente des deux fabriques. Il n’y a pas à Bédarieux comme à Lodève une démarcation infranchissable entre quelques fabricans millionnaires et tout le reste de la cité. D’ailleurs, en élargissant son domaine depuis trente ans, l’industrie de la première de ces villes a successivement modifié, sinon le fond des existences, au moins les perspectives que pouvait embrasser l’imagination des ouvriers. Lodève est demeurée au contraire immobile dans son ancienne spécialité, et rien n’y a diversifié l’horizon du travail. De plus, au lieu des efforts que nécessitaient à Bédarieux, de la part des manufacturiers, des applications nouvelles, les ouvriers lodéviens voyaient uniformément passer sous leurs yeux des fournitures militaires qui leur semblaient assurer sans peine aux fabricans d’infaillibles bénéfices.

Considéré dans son état normal, en dehors de faits récens et sinistres qui ne sont dans l’histoire de la ville qu’un douloureux épisode, le fond des caractères à Bédarieux est plus doux, plus inoffensif qu’à Lodève. Sous le rapport de la vie matérielle, la position est meilleure ; les denrées de consommation étant un peu moins chères que