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l’auteur même du scandale; il faut la simplicité des mœurs locales, il faut les tempéramens que peut apporter à la coutume la prudence du chef de l’établissement, pour que le remède n’entraîne pas les plus graves inconvéniens. Si, même à Villeneuvette, même dans cette sphère étroite et exceptionnelle, le problème de la population présente de telles difficultés, comment s’étonnerait-on qu’il soit insoluble pour la science économique dans les situations ordinaires ? Ces règles diverses, qui résultent de l’usage, je le répète, bien plus que de prescriptions arbitraires, ne constituent pas un joug pénible pour les familles : on ne les sent même pas. Le séjour de Villeneuvette est particulièrement cher à ses habitans; ils n’abandonnent jamais la fabrique, ils l’aiment comme leur propre bien, ils en sont pour ainsi dire les colons partiaires.

Ce n’est pas par l’ignorance que le chef de l’établissement cherche à maintenir l’empire des idées traditionnelles, à préserver contre les attaques du temps cette constitution un peu féodale de l’industrie. Grâce à l’obligation imposée aux pères de famille d’envoyer leurs enfans à l’école, il y a plus d’instruction parmi les ouvriers de cette petite bourgade que parmi ceux de la plupart des villes des mêmes provinces. Dans tout ce groupe méridional, il faut le reconnaître, le développement des esprits se manifeste moins par les études élémentaires qui composent l’enseignement des écoles chrétiennes ou des écoles mutuelles que par l’essor naturel des imaginations. Quand on observe de près les ouvriers à Lodève ou à Bédarieux, à Montpellier ou à Carcassonne, on s’aperçoit que si la science acquise est parmi eux extrêmement bornée et souvent nulle, les âmes sont cependant remuées par des élans spontanés, illuminées par des éclairs instinctifs qui empêchent les facultés morales de tomber dans la torpeur. Nous avons fait remarquer avec quel scrupule les pratiques religieuses sont observées dans les trois principales cités industrielles du Tarn et de l’Hérault. Le même attachement se retrouve parmi les familles répandues autour des fabriques rurales. On dirait qu’on éprouve dans toute cette contrée l’influence de la capitale intellectuelle et littéraire du Haut-Languedoc, de cette belle cité toulousaine, où la foi reste si vivace, et où le culte aime à s’entourer de mystère. Là, dans les églises, une impénétrable enceinte enveloppe le sanctuaire, ainsi qu’en Espagne. Les vives intelligences méridionales percent les voiles et les ombres, et ne ressentent nullement ce besoin de voir tout à découvert, qui dans nos régions septentrionales enlève quelquefois au catholicisme une partie de son prestige, et qui n’a pas même laissé un tabernacle dans les temples protestans. Longtemps la religion se chargea seule de fournir un alimenta l’esprit des classes laborieuses du midi; mais voilà qu’au milieu de ce siècle, des enseignemens