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politiques sont venus solliciter aussi les intelligences et semer des germes jadis inconnus. Il faut rechercher quelle action ces nouveaux efforts ont exercée sur le mouvement intellectuel des populations ouvrières.


III. — ESPRIT POLITIQUE ET INSTITUTIONS.

A Lodève, où les masses sont portées à se passionner, les provocations qui suivirent la révolution de 1848 soulevèrent jusque dans ses profondeurs cette mer orageuse. La question des salaires avait d’avance préparé les voies à la politique. Les préoccupations des ouvriers à l’endroit de la rétribution du travail, quand elles ne se manifestent pas au dehors sous des formes illicites, sont sans contredit des plus naturelles et des plus respectables. Le travailleur défend son pain et celui de sa famille ; il serait aussi injuste qu’absurde de lui reprocher de vouloir, comme dans toutes les professions, tirer le meilleur parti possible de son industrie. Par malheur, les faux pas sont faciles sur ce sentier glissant, surtout pour des agglomérations d’individus à qui toute réflexion est impossible. Dans une circonstance dont nous sommes déjà séparés par une dizaine d’années, les ouvriers lodéviens avaient fait grevé au milieu de leur misère, pendant cinq à six mois, pour obtenir un salaire plus élevé. A côté du désir d’améliorer leur état, on put dès lors remarquer en eux contre les manufacturiers des ressentimens profonds, gros de ces désordres que nous avons vus éclater, et dont l’organisation même de l’industrie locale favorisait le développement. Dans presque toutes les autres villes industrielles de la France, de petits fabricans qui s’élèvent chaque jour forment des échelons entre la multitude des travailleurs et les grandes fortunes manufacturières. A Lodève, il n’y a rien entre quelques patrons millionnaires et les ouvriers vivant au jour le jour; aussi est-il bien plus facile d’égarer les idées populaires sur la situation relative des capitaux et des bras. On ne se rend pas compte, dans les rangs inférieurs, du temps, des peines et de l’économie que représente la richesse acquise. En l’absence de toute agriculture et de tout commerce dans ces montagnes, l’arène si hermétiquement close que forme la fabrique étant le seul moyen de faire fortune, la jalousie contre les fabricans ne s’est peut-être pas renfermée dans le sein de la population des ateliers. Cependant, sans nier que les meneurs du désordre fussent, dans les derniers temps, étrangers à la classe laborieuse, nous croyons que les ouvriers avaient puisé surtout en eux-mêmes, dans leur état précaire, dans des comparaisons inconsidérées, le sentiment funeste qui, sous le coup des excitations de 1848, les a poussés à des scènes fâcheuses.

Quiconque, après février, aurait vu Lodève pendant la journée