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à soutenir. En présence de ces épreuves, qui n’ont rien d’obscur ni d’équivoque aujourd’hui, il n’y a sans doute rien à exagérer, et il n’y a aussi, il nous semble, rien à dissimuler. Oui, il est bien vrai que les affaires d’Orient ne sont guère en voie d’arrangement malgré les efforts des gouvernemens français et anglais, et que les incertitudes nées de la crise des subsistances n’ont point perdu leur caractère sérieux. Chacune de ces questions se produisant seule aurait eu évidemment par elle-même une importance suffisante; leur coïncidence est une aggravation. S’il y a double embarras cependant, c’est une raison de plus pour envisager avec quelque sang-froid et quelque virilité cette crise complexe; c’est même, à vrai dire, le meilleur moyen de la traverser sans y rien laisser de nos intérêts ou de notre sécurité.

Où en est donc aujourd’hui l’affaire d’Orient ? Elle suit son cours à travers toutes les complications qui se sont produites et qui se produisent à chaque instant. Selon l’habitude, les nouvelles se croisent et se multiplient. Tous les faits sont commentés, les résolutions des cabinets sont attendues et scrutées, et même on les divulgue souvent avant de les connaître, sur un simple indice. Encore une fois, on revient sur le passé et sur l’avenir de cette formidable question. Ce n’est pas qu’il y ait des incidens essentiellement nouveaux. La réalité est que les incidens actuels ne sont que la conséquence la plus logique de ceux qu’on connaît. C’est une situation qui se développe. Si la Russie s’établit dans les principautés danubiennes avec la pensée visiblement arrêtée de n’en point sortir de si tôt, il n’y a rien là qui ne découle entièrement de sa conduite antérieure. Si la Turquie, par un acte formel, accompli en ce moment, déclare la guerre à la Russie, elle ne fait que reconnaître et accepter un état de choses existant depuis trois mois déjà à son détriment. C’est là en effet qu’en est aujourd’hui la question d’Orient, et c’est là qu’elle en devait venir nécessairement après le refus de la Porte de souscrire à la note de Vienne et après l’étrange signification attribuée à cette note par M. de Nesselrode. Le complet insuccès de la médiation tentée par la conférence viennoise remettait tout en doute, laissait la Russie dans les principautés, ravivait les passions belliqueuses de la Turquie, et faisait à l’Angleterre et à la France un devoir de chercher à suivre les événemens de plus près, en franchissant les Dardanelles.

Telle est donc la situation au moment présent. De son côté, la Russie occupe les provinces moldo-valaques et songe moins que jamais à les quitter, sans nul doute. A quel titre et pour quel temps les occupe-t-elle ? C’est là ce qu’il est désormais assez inutile de discuter. Ses intentions sont suffisamment claires; elles se décèlent par la nomination du prince Paskewitch au commandement de l’armée du Danube, par la déposition des hospodars et la création d’une vice-royauté qui serait confiée au prince Menchikof, en un mot par tous les actes qui signalent l’occupation russe. Si l’un de ces faits se confirme notamment, la substitution d’une administration russe au gouvernement des hospodars, on pourrait demander ce qui manquerait alors pour constituer une incorporation pure et simple des principautés à l’empire du tsar. Malgré des exagérations que le cabinet de Saint-Pétersbourg n’est point certainement intéressé à démentir, les forces de la Russie